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iv. de la vie et de la mort

la souffrance et la privation peuvent être éprouvées positivement et affirmer d’elles-mêmes leur présence ; le bien-être, par contre, est purement négatif. C’est pourquoi nous ne réalisons pas comme tels les trois plus grands biens de notre vie — la santé, la jeunesse et la liberté — tant que nous les possédons, mais seulement quand nous les avons perdus ; car eux aussi sont des négations. Nous ne remarquons les jours heureux de notre existence qu’après qu’ils ont fait place à des jours malheureux. Dans la mesure où les jouissances s’accroissent, la faculté de les ressentir diminue : le plaisir habituel n’est plus perçu comme jouissance. Par là-même, d’ailleurs, la sensibilité à la douleur augmente, car toute suppression du plaisir accoutumé est perçue comme une souffrance. Ainsi la quantité de ce qui nous est nécessaire s’accroît par la possession, et du même coup aussi la faculté de souffrir. — Les heures passent d’autant plus vites qu’elles sont plus agréables, et d’autant plus lentement qu’elles sont plus pénibles, parce que c’est la douleur, non la jouissance, qui est l’élément positif dont la présence se fait sentir. De même, nous percevons le temps quand nous nous ennuyons, mais non pas quand nous nous amusons. L’un et l’autre fait prouvent que c’est là où notre