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la pensée de schopenhauer

celui-ci n’est pas infecté de judaïsme. Quant au nihilisme de Schopenhauer — « vouloir » sans but ou renoncer sans espoir, — observons ceci : un philosophe pour qui, de par sa pensée même, toute question d’origine, de fins, de raison d’être de l’Univers, est dénuée de sens ; pour qui tout « au-delà », quel qu’il soit, est par définition hors du temps et de l’espace, c’est-à-dire hors de ces formes mêmes de la connaissance qui seules lui permettent de philosopher ; ce philosophe, en tant que philosophe, a le droit et le devoir de dire néant sitôt qu’il touche à cette limite. Mais — et ici je cite les propres paroles de Schopenhauer — « c’est précisément à cette limite que commence l’action positive du mystique ».

L’expérience mystique, incontrôlable en elle-même à qui ne l’a point faite, atteste sa réalité, nonobstant la bigarrure des croyances, par la singulière concordance des vies qu’elle a suscitées. Elle s’affirme d’autre part, indirectement, dans les vivants symboles qu’elle engendre. Et ainsi Schopenhauer, laissant la porte ouverte à la religion, nous marque du même coup ce qui fait probablement son caractère le plus essentiel : la religion n’est point science, elle n’est point histoire, elle n’est point morale : elle est mythe. Mythe, ce qui veut dire, non point conte de fées, mais représentation, dans un langage emprunté aux formes du monde sensible, d’une expérience ou d’une intuition qui ne serait point autrement exprimable ni communicable. Tout ce qui dans la religion est notion, parole ou rite, est donc nécessairement symbole ; symbole incluant en lui l’ineffable comme en un vase sacré. Fixé, figé, généralisé, ce symbole, où tour à tour viennent puiser les cœurs, devient le dogme, la religion régnante, que la grande masse, alors même qu’elle s’en détache, est fatalement portée à tenir pour une explication — littérale et absolue — de l’Univers. C’est en ce sens que Schopenhauer appelle la religion la « métaphysique du peuple ». Définition sans doute insuffisante, parce qu’elle nous oblige à nous demander si des hommes comme Pascal rentrent ou ne