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la pensée de schopenhauer

chaque animal, comme aussi d’ailleurs la vie de l’homme, livrée par elle, qui n’intervient jamais pour les secourir, aux caprices du hasard le plus indifférent ? Voyez l’insecte sur votre chemin : le moindre écart inconscient de votre pied décide de sa vie ou de sa mort. Voyez la limace : privée de tout moyen de fuir ou de se défendre, de feindre ou de se cacher, elle est une proie offerte à tout venant. Voyez le poisson jouer encore avec insouciance dans le filet qui va se refermer ; voyez la grenouille retenue par son indolence, quand la fuite pourrait la sauver ; la passereau inattentif à la présence du faucon qui plane au-dessus de sa tête ; le mouton que le loup guette et mesure du regard du fond du taillis. Tous, insuffisamment armés de prudence, vont et viennent ingénument au milieu des mille dangers qui menacent à chaque instant leur vie. Or, en livrant ainsi sans scrupules, non seulement à la rapacité d’un ennemi plus fort, mais encore au hasard le plus aveugle, aux lubies de n’importe quel fou, à l’espiéglerie d’un enfant, les organismes si incroyablement ingénieux dont elle est l’auteur, la nature n’affirme-t-elle pas que la destruction des individus lui est indifférente, qu’elle ne lui nuit en rien, qu’elle ne signifie