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Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/296

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la pensée de schopenhauer

particulier que cette vie représente ne touche en rien son essence véritable et foncière

Quand je tue un animal, que ce soit un chien, un oiseau, une grenouille, ou même seulement un insecte, il est véritablement inadmissible qu’il suffise d’un geste échappé à ma méchanceté ou à mon étourderie, pour que cet être, ou plutôt la force primordiale qui se manifestait une minute auparavant dans ce phénomène merveilleux, dans cette plénitude d’énergie et de joie de vivre, puisse être réduite à néant. D’autre part, il est également impossible que les millions d’animaux, infiniment divers en leurs innombrables espèces, qui font à chaque instant, pleins de force et d’ardeur, leur entrée dans l’existence, n’aient rien été avant l’acte de leur procréation et qu’ils aient passé ainsi du néant à un commencement absolu. En voyant donc l’un d’entre eux se soustraire à mes regards, sans que je sache où il s’en va, et un autre surgir à sa place, sans que je sache d’où il vienne ; en constatant qu’au surplus tous deux ont la même forme, la même nature, le même caractère, et qu’il leur manque seulement d’avoir en commun la même portion de matière — matière qu’ils ne cessent d’ailleurs de dépouiller et