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la pensée de schopenhauer

sidérer qu’il ne peut en tous cas l’obtenir qu’en sacrifiant un passé également infini qui a précédé sa naissance. Car, comme il n’a aucun souvenir d’une existence antérieure, comme sa conscience, en d’autres termes, a commencé avec sa naissance, cette dernière équivaut nécessairement pour lui à un phénomène qui l’a tiré du néant ; mais alors il achète la durée infinie de son existence après la mort au prix d’une autre, tout aussi longue, antérieure à la naissance, et le compte boucle sans profit pour lui. Au contraire, si l’existence que la mort laisse intacte n’est pas celle de la conscience individuelle, cette existence doit être indépendante de la naissance aussi bien que de la mort ; et dès lors, du point de vue de cette existence, on peut dire tout ensemble et avec une égale vérité : « je serai toujours » et « j’ai toujours été » ; ce qui nous donne deux durées infinies pour une. — Mais, au fond, c’est dans le mot « moi » que gît la grande équivoque. Selon que je l’entends d’une manière ou d’une autre, je puis dire : « la mort est ma destruction totale », ou je puis dire au contraire : « autant je suis une partie infiniment petite de l’Univers, autant le phénomène particulier de ma personne est une partie infime de mon être véritable. »