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iv. de la vie et de la mort

Souhaiter l’immortalité de l’individu, c’est en réalité vouloir perpétuer indéfiniment une erreur. Car, au fond, toute individualité est une aberration particulière, une sorte de faute ou d’accident, quelque chose qui ferait mieux de ne pas être, quelque chose dont la vie a précisément pour but véritable de nous détourner et de nous ramener.

Pour que l’homme connût la béatitude, il ne serait donc nullement suffisant qu’il fût transporté dans un « monde meilleur » ; mais il faudrait encore qu’il fût l’objet d’une transformation radicale, c’est-à-dire qu’il ne fût plus ce qu’il est et qu’il devint en échange ce qu’il n’est pas. Pour cela il faut qu’il commence par cesser d’être ce qu’il est, et c’est cette condition qui se trouve provisoirement réalisée par la mort, dont on peut apercevoir déjà, de ce seul point de vue, la nécessité morale. Etre transporté dans un autre monde et subir une transformation totale de son être, c’est au fond une seule et même chose.

La mort est le grand redressement, la grande « correction » que le cours de la nature inflige au Vouloir-vivre, plus précisément à l’égoïsme qui en fait l’essence, et elle peut être considérée comme le