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la pensée de schopenhauer

châtiment de notre existence. Elle défait dans la douleur le nœud que la génération avait lié dans la volupté ; elle intervient brutalement du dehors pour dissiper l’erreur radicale de notre être ; elle est la grande désillusion. Nous sommes au fond quelque chose qui ne devrait pas être ; et c’est pourquoi nous cessons d’être. L’égoïsme consiste proprement en ceci que l’homme restreint toute la réalité à sa propre personne, en s’imaginant n’exister que dans celle-ci et nullement dans les autres. La mort vient lui montrer ce qui en est, en supprimant cette personne. Son moi tout entier ne vit plus désormais que dans ce qu’il avait regardé jusqu’alors comme non-moi, car la différence a pris fin entre ce qui est extérieur et ce qui est intérieur. Aussi réelle que puisse être cette différence dans la conscience empirique, il n’y a au fond, du point de vue métaphysique, aucune différence essentielle entre ces deux propositions : « je disparais, mais le monde continue » et « le monde disparaît, mais je continue ».

La mort est la grande occasion qui est offerte à chacun de nous de n’être plus « soi » : heureux celui qui en profite ! Mourir, c’est l’instant où nous sommes