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v. morale et religion

ger, qu’entre lui et le reste des êtres il y a un lien caché, quelque chose qui les unit et contre quoi le principe d’individuation ne saurait le protéger. De là cette subite et invincible épouvante qui s’empare de lui et à laquelle n’échappe aucun être humain — ni même peut-être les animaux les plus intelligents — quand, par un hasard quelconque, le principe d’individuation se dérobe brusquement à son esprit égaré, c’est-à-dire quand le principe de raison, sous lune ou l’autre de ses formes, paraît subir une exception : toutes les fois, par exemple, qu’un effet quelconque lui semble se produire sans cause, ou qu’il a la vision d’un mort revenant parmi les vivants, ou que quelque événement passé ou futur lui apparaît comme actuel, ou encore que les frontières et les distances de l’espace lui semblent abolies. L’indicible terreur qui saisit l’être humain en pareils cas vient du trouble profond, du brusque bouleversement que provoque en lui la suppression momentanée des formes de la connaissance phénoménale, qui seules séparent son individu du reste de l’Univers. Mais, précisément, cette séparation n’existe que pour le monde des phénomènes ; elle n’existe pas pour la « chose en soi ». Et c’est sur cette unité de la « chose en soi » que repose la justice éternelle.