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Sur la morale impérative et la notion du « devoir ».

Au cours des siècles chrétiens, la morale philosophique a inconsciemment emprunté sa forme à la morale théologique ; et comme celle-ci est par essence une morale impérative, l’autre s’est également développée sous la forme d’un ensemble de prescriptions, d’une théorie des devoirs. Cela, d’ailleurs, en toute innocence, car elle ne se doutait pas que cette attitude impliquait une autre et plus vaste compétence ; elle s’imaginait au contraire de bonne foi que telle était la forme que devait naturellement revêtir toute morale. Or, autant il est incontestable — tous les peuples, toutes les doctrines religieuses et même tous les philosophes (à l’exception des purs matérialistes) l’ont d’ailleurs reconnu — que la signification morale des actions humaines est d’ordre métaphysique, c’est-à-dire que ces actions ont une portée qui dépasse notre existence phénoménale et par où elles touchent à l’éternité, autant la nature de la morale exige peu qu’on la conçoive sous la forme d’un commandement et d’un obéissance, d’une loi et d’un devoir. En réalité, ces notions perdent toute leur signification sitôt qu’on les détache des affirmations théologiques dont elles sont logiquement issues. Et quant à ceux qui prétendent remplacer ces affirmations théologiques par autre chose, et qui