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v. morale et religion

viennent nous parler avec Kant d’un « tu dois » absolu et d’un devoir inconditionné, ceux-là nous paient de belles paroles ; bien plus, ils tentent de nous faire avaler une contradiction dans les termes. Un « tu dois », en effet, un « impératif », quel qu’il soit, ne saurait avoir de sens que par rapport à la menace d’une punition ou à la promesse d’une récompense, c’est-à-dire, pour parler le langage de Kant, que cet impératif sera par essence, et nécessairement, toujours hypothétique, et jamais, comme Kant l’affirme, catégorique. Et si, d’autre part, on supprime ces conditions indispensables — la menace ou la promesse —, la notion d’impératif demeure vide de sens : un « tu dois » absolu est donc de toute évidence une contradiction dans les termes. Il est complètement impossible de concevoir une voix qui commande, peu importe qu’elle vienne du dehors ou du dedans, autrement que comme proférant une menace ou formulant une promesse. Dès lors aussi l’obéissance qu’elle obtient pourra être, selon les cas, un acte de sagesse ou un acte de sottise, mais elle sera en tous cas toujours un acte intéressé, et par conséquent dépourvu de valeur morale.