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la pensée de schopenhauer

tion subjective ; il sait qu’au point de vue objectif, c’est-à-dire que même étant donné les circonstances dans lesquelles il a agi, ou, si l’on veut, l’influence des motifs qui l’ont contraint d’agir, une action très différente de celle qu’il a commise, voire même l’action exactement opposée, n’en était pas moins parfaitement concevable et exécutable, pour peu seulement qu’il n’eût pas été lui-même ce qu’il est. Tout dépendait en effet de cette seule condition. Pour lui, sans doute, parce qu’il est lui et point un autre, parce qu’il a le caractère qu’il a, la possibilité de toute autre action était nécessairement exclue ; mais prise uniquement en elle-même, c’est-à-dire objectivement, cette autre action était possible. Le sentiment de responsabilité que cet homme éprouve ne se rapporte donc qu’à première vue et apparemment à son acte ; en réalité il se rapporte à son caractère. C’est de ce caractère qu’il se sent responsable, et c’est de ce caractère que les autres, eux aussi, le rendent responsables. On s’en aperçoit bien à leur jugement, qui fait aussitôt abstraction de l’acte pour passer à l’auteur de cet acte et marquer les traits de sa nature. « C’est un méchant homme », diront-ils par exemple ; ou : « c’est un vaurien, une canaille » ; ou encore : « c’est une petite âme basse et vile ».