Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311
v. morale et religion

nous voyons en quelque sorte le « non-moi » devenir « moi ».

Imaginons deux jeunes gens, Cajus et Titus, l’un et l’autre passionnément amoureux d’une jeune fille (pas de la même). Les circonstances veulent que chacun d’eux voie son amour contrecarré par un rival qu’on lui préfère ; et chacun d’eux aussi est résolu à se débarrasser de ce rival en lui ôtant la vie. Ils ne courent ni l’un ni l’autre aucun risque d’être découverts ni même soupçonnés. Cependant, au moment d’en venir aux préparatifs de leur crime, chacun d’eux, après une lutte intérieure, abandonne son projet. Nous allons maintenant leur demander de nous dire nettement et loyalement les raisons qui les ont déterminés à s’abstenir de tuer. Je laisse entièrement au choix du lecteur celles que Cajus pourra éventuellement alléguer. Il dira, par exemple, qu’il a été retenu par des motifs d’ordre religieux : la volonté de Dieu, le jugement dernier, le châtiment futur, etc… Il pourra dire aussi, avec Kant : « J’ai considéré que la maxime qui aurait présidé à ma conduite en cette occasion n’était pas susceptible de fournir une règle universellement