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la pensée de schopenhauer

que celui qui donne se reconnaît lui-même dans l’apparition misérable du pauvre qu’il secourt et y discerne, manifestée dans un autre individu, sa propre essence. C’est pourquoi j’ai appelé la pitié le grand mystère de l’éthique.

Celui qui n’a jamais vu en dehors de lui que le « non-moi », qui n’a jamais considéré au fond que son propre individu comme vraiment réel, pour qui les autres, simples fantômes, n’ont jamais existé que relativement à lui et uniquement dans la mesure où ils favorisaient ou entravaient la satisfaction de ses désirs, qui a toujours été séparé par un, abîme profond de tout ce monde du « non-moi » et qui en définitive n’a jamais vécu que dans sa propre personne, celui-là voit aussi sombrer dans la mort, avec son moi, toute réalité ; il voit l’Univers périr avec lui. Mais à celui qui s’est reconnu lui-même, qui a discerné son propre être dans toutes les créatures vivantes et dont l’existence s’est ainsi en quelque sorte fondue dans la leur, à celui-là la mort ne fait perdre qu’une parcelle de son existence ; il survit dans tous les autres êtres, en qui il a su reconnaître et aimer sa propre essence, et l’illusion disparaît