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la pensée de schopenhauer

le hasard se charge de distribuer. Dès lors les peines qui sont la sanction fatale et irrévocable de ce crime ou de ce péché — les « peines éternelles » — représentent précisément la somme de souffrance qu’il faudrait pour amener le Vouloir criminel à se détacher, à s’arracher de la vie. Il se peut d’ailleurs fort bien que l’individu qui a commis le crime échappe à toute souffrance jusqu’à la fin de ses jours. Mais le Vouloir mauvais qui est en lui n’est pas détruit par la mort ; ce qui est ainsi anéanti, c’est uniquement une de ses manifestations particulières, le corps que nous voyons périr. Ce Vouloir lui-même subsiste dans l’infini du temps, car le temps, par essence, implique l’existence du Vouloir, comme le Vouloir, pour se manifester, implique l’existence du temps.

D’où vient la secrète horreur du criminel pour son crime ? — Tout au fond de lui-même, il sent que le bourreau et la victime, celui qui fait souffrir et celui qui souffre, ne diffèrent l’un de l’autre que sous l’angle du temps et de l’espace ; que cela, qui est par nature voué à la souffrance, c’est la vie même ; et que lui-même, par son acte, a précisément affirmé cette vie avec une force telle, que la volonté de vivre ne saurait s’éteindre en lui aussi longtemps qu’il