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la pensée de schopenhauer

ses goûts. Est-il lui-même un esprit plat, superficiel, confus, uniquement nourri de mots ? Il applaudira le plus sincèrement du monde à la platitude, à la superficialité, à la confusion, au verbiage. En revanche il n’admettra les œuvres des grands esprits que sur la foi de certaines autorités dont le prestige lui en impose. Au fond, ces œuvres ne lui plaisent pas ; elles « ne lui disent rien » ; même elles répugnent à sa médiocrité. Mais il n’en voudra point convenir, fût-ce vis-à-vis de lui-même. Il faut déjà un cerveau au-dessus de la moyenne pour goûter réellement les créations du génie ; mais pour être des premiers à en discerner la valeur, alors qu’elles ne s’appuient encore d’aucune autorité, il faut un esprit vraiment supérieur. Tout compte fait, il n’est donc nullement surprenant qu’elles arrivent si tard au succès et à la gloire ; il faudrait plutôt s’étonner qu’elles y atteignent jamais. Aussi bien n’y parviennent-elles que grâce à un processus lent et compliqué, qui veut que les esprits inférieurs, en quelque sorte domptés et réduits à l’obéissance, reconnaissent peu à peu l’autorité de ceux, moins nombreux, qui se trouvent immédiatement au-dessus d’eux dans l’échelle intellectuelle, et ainsi de suite jusqu’aux degrés supérieurs ; si bien que le seul