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vi. fragments divers
Remarques psychologiques.

On porte le poids de son propre corps sans le sentir, tandis qu’on sent le poids d’un corps étranger qu’on cherche à déplacer. De même on ne remarque pas ses propres fautes et ses propres vices, mais seulement ceux des autres. Il est vrai que notre prochain est aussi un miroir, où chacun de nous peut contempler les défauts, les mauvais penchants et les vilains traits de caractère dont il est lui-même affligé. Mais nous nous comportons le plus souvent en présence de ce miroir comme le chien qui aboie à sa propre image parce qu’il ne sait pas que c’est la sienne et qu’il croit voir un autre chien.

La douleur profonde que nous cause la mort d’un être aimé vient du sentiment qu’il y a dans chaque individu quelque chose d’inexprimable, qui n’appartient qu’à lui seul et qui dès lors est irrévocablement perdu. Omne individuum ineffabile. Cela est vrai de l’individu animal comme de l’individu humain. S’il vous arrive par hasard de blesser mortellement un animal que vous aimiez, vous éprouverez ce sentiment dans toute sa force en recevant de lui ce dernier regard qui vous déchire le cœur.