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vi. fragments divers

seul coup tous les inconvénients qu’elle entraîne, tandis que la société est insidieuse : sous l’apparence d’un passe-temps agréable, sous l’attrait fallacieux que présentent le commerce des hommes et les divertissements du monde se dissimulent de graves dangers et des maux souvent irréparables.

Ce qui rend les hommes si sociables, c’est leur incapacité de supporter la solitude, c’est-à-dire de se supporter eux-mêmes. C’est leur vide intérieur, le dégoût de leur propre personne, qui les pousse à rechercher la compagnie de leur prochain, comme il les pousse aussi à s’en aller voyager en pays étrangers. Leur esprit n’a pas le ressort voulu pour se mettre de lui-même en mouvement ; c’est pourquoi beaucoup cherchent dans le vin un exhaussement artificiel de leurs facultés et deviennent ainsi des ivrognes. Il leur faut sans cesse puiser en dehors d’eux-mêmes quelque excitation, et c’est dans le commerce de leurs semblables qu’ils trouvent le plus fort stimulant. Autrement leur esprit s’affaisse sous son propre poids et tombe dans une pesante léthargie. On dirait en quelque sorte que chacun d’eux ne représente qu’une fraction du type humain et qu’il a besoin du complément de beaucoup d’au-