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la pensée de schopenhauer

tres individus pour réaliser une conscience humaine totale. Au contraire celui qui est un homme complet, celui qui a droit par excellence au titre d’homme, celui-là représente une unité et non pas une fraction, et c’est pourquoi il se suffit à lui-même. En ce sens on pourrait comparer la plupart des réunions humaines à ces fanfares russes composées uniquement de cors, dont chacun ne donne qu’une seule note et qui n’arrivent à produire de la musique que grâce à une concordance absolument exacte de leurs entrées respectives. En effet, l’esprit de la plupart des hommes est monotone comme un de ces cors à une seule note. Rien qu’à voir leur mine, ne dirait-on pas que leur cerveau n’abrite continuellement qu’une seule et même pensée et qu’il est incapable d’en jamais engendrer aucune autre ? On s’explique ainsi qu’ils soient non seulement si ennuyeux, mais encore si sociables, et qu’ils vivent de préférence en troupeaux : the gregariousness of mankind. C’est cette monotonie de leur être individuel qui leur devient intolérable. Omnis stultitia laborat fastidio sui. Comme ces joueurs de cors, ils ne sont quelque chose que réunis. Au contraire l’homme dont l’esprit est vivant et riche est pareil à un virtuose