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la pensée de schopenhauer

sentée, l’intuition remplit d’un seul coup la conscience de toute sa puissance. C’est ici que gît la supériorité infinie du génie sur l’érudition ; il est à celle-ci ce que le texte d’un classique ancien est à son commentaire.

On trouve dans tous les rangs de la société des hommes intellectuellement supérieurs qui n’ont souvent aucune érudition. Car l’intelligence naturelle peut remplacer presque tous les degrés de culture, tandis qu’aucune instruction ne peut tenir lieu d’intelligence naturelle. Le savant a incontestablement sur les hommes de cette espèce l’avantage de disposer d’une grande abondance de cas, de faits (connaissance historique) et de déterminations causales (théorie de la nature), le tout bien ordonné en un ensemble cohérent que son esprit peut facilement embrasser ; par là, cependant, il n’a pas acquis l’intuition juste et profonde de ce qui fait proprement l’essence de tous ces cas, de tous ces faits et de toutes ces causes. L’ignorant doué de coup d’œil et de pénétration peut se passer de ces richesses : mit Vielem hælt man Haus, mit Wenigem kommt man aus (il faut beaucoup pour tenir maison, il faut peu de chose pour se tirer d’affaire). Un seul fait qu’il tient de sa propre expérience lui en