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la pensée de schopenhauer

et de la manière convenable. Tel autre aura beau savoir par cœur les trois cents règles de la sagesse énumérées par Gracian, elles ne le préserveront pas, si cette connaissance intuitive lui fait défaut, des bévues et des balourdises. Car toute connaissance abstraite ne fournit par elle-même que des principes généraux et des règles ; or le cas particulier n’est jamais taillé exactement à la mesure de la règle ; d’autre part, il faut que la mémoire nous rappelle cette règle juste au moment voulu, ce en quoi elle se montre rarement ponctuelle ; ensuite, il s’agit de construire, avec le cas donné, la mineure du syllogisme, et enfin de tirer la conclusion. Entre temps, l’occasion aura en général vite fait de nous montrer l’envers chauve d’une tête qu’il est indispensable de prendre aux cheveux, et dès ce moment ces règles et ces principes excellents ne peuvent plus guère nous servir qu’à mesurer après coup l’étendue de la faute commise. Evidemment, de ces erreurs mêmes, avec l’aide du temps, de l’usage, de l’exercice, l’expérience du monde peut lentement se former, et dès lors, mises en contact avec cette dernière, les règles abstraites peuvent sans contredit se montrer fructueuses.