Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/108

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ne peut être autrement représenté, c’est-à-dire est la forme de toute connaissance. Aussi ne demande-t-on pas pourquoi 2 + 2 = 4 ; ou pourquoi l’égalité des angles, dans un triangle, entraîne l’égalité des côtés ; ou encore pourquoi, étant donnée une cause, l’effet suit toujours. On ne demande pas non plus pourquoi la vérité contenue dans les prémisses se retrouve dans la conclusion. Toute explication qui ne nous ramène pas à un rapport après lequel il n’y a pas à exiger de pourquoi s’arrête à une « qualité occulte » que l’on suppose. Toutes les forces naturelles sont des qualités occultes. C’est à l’une d’elles, par conséquent à l’obscurité complète, que doit forcément aboutir toute explication des sciences naturelles ; de sorte qu’on ne peut pas plus expliquer l’essence de la pierre que celle de l’homme ; il est tout aussi impossible de rendre compte de la pesanteur, de la cohésion, des propriétés chimiques de l’une, que des facultés et des actions de l’autre. La pesanteur, par exemple, est une qualité occulte, car on peut l’éliminer ; elle ne sort donc pas nécessairement de la forme de la connaissance ; c’est, au contraire, le cas de la loi d’inertie, qui résulte de la loi de causalité ; par conséquent, toute explication qui se ramène à la loi d’inertie est parfaitement suffisante. Deux choses, en particulier, sont absolument inexplicables, c’est-à-dire ne se réduisent pas à un rapport qu’exprime le principe de raison : d’abord le principe de raison lui-même, sous ses quatre formes, parce qu’il est la source de toute explication, le principe dont elle emprunte tout son sens ; en second lieu, un principe, qui ne dépend pas du principe de raison, mais qui n’en est pas moins à la racine de toute représentation : c’est la chose en soi, dont la connaissance n’est pas subordonnée au principe de raison. Nous ne tenterons pas de l’éclaircir ici, nous réservant de le faire dans le livre suivant, où nous reprendrons nos considérations sur les résultats accessibles aux sciences. Mais comme les sciences naturelles, et même toutes les sciences, s’arrêtent devant les choses, sans pouvoir les expliquer ; comme le principe même de leur explication, le principe de raison, ne peut s’élever jusque-là, alors la philosophie s’empare des choses, et les examine suivant sa méthode, qui est toute différente de celle des sciences.

Dans mes considérations sur le principe de raison, § 51, j’ai montré comment l’une ou l’autre forme de ce principe constitue le fil conducteur des différentes sciences ; en réalité, c’est sur la diversité de ses formes qu’on pourrait asseoir la division la plus exacte des sciences. Nous avons montré que toute explication donnée d’après cette méthode est toujours relative ; elle explique le rapport des choses, mais elle laisse toujours quelque chose d’inexpliqué, qu’elle suppose même : c’est, par exemple, l’espace et le temps en mathématiques ; la matière en mécanique ; en physique et chimie, les qua-