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critique de la philosophie kantienne

être n’en est pas moins, à la place où elle se trouve, une μεταϐασις εις αλλο γενος (un passage illégitime d’un genre à un autre). Car la liberté transcendantale en question n’est nullement la causalité inconditionnée d’une cause, qu’affirme la thèse, puisqu’une cause est par son essence même un phénomène, et non pas quelque chose de radicalement différent du phénomène, une chose située au-delà de toute expérience.

Ce n’est pas en traitant de la cause et de l’effet qu’il faut étudier, comme le fait Kant, le rapport de la volonté à sa manifestation phénoménale (c’est-à-dire du caractère intelligible au caractère empirique) : car ce rapport est absolument distinct de la relation causale.

Dans cette solution de l’antinomie, Kant dit avec raison que le caractère empirique de l’homme, comme celui de toute autre cause dans la nature, est immuablement déterminé, que les actes en procèdent nécessairement, à l’occasion des influences externes ; aussi, en dépit de toute liberté transcendantale (c’est-à-dire de l’indépendance de la volonté en soi vis-à-vis des lois qui régissent ses modes phénoménaux), aucun homme n’a-t-il le pouvoir de commencer spontanément une série d’actions, comme l’affirmait la thèse. La liberté n’a donc pas de causalité, car est libre seulement la volonté, qui est située en dehors de la nature ou de l’expérience, laquelle n’en est que l’objectivation, mais ne soutient pas avec elle un rapport d’effet à cause ; ce dernier rapport ne se rencontre qu’au sein de l’expérience, il présuppose donc celle-ci, et ne peut pas la relier à ce qui ne relève absolument pas de l’expérience. Le monde devrait être uniquement expliqué par la volonté, puisqu’il est cette volonté même en tant que phénomène, et non point par la causalité. Mais dans le monde la causalité est le seul principe d’explication, et tout s’y fait suivant les seules lois de l’expérience. Toute la vérité est donc du côté de l’antithèse, qui demeure dans la question, qui emploie le principe d’explication applicable à cette question.

La quatrième antinomie est, comme je l’ai déjà dit, une tautologie de la troisième. Dans la solution qu’il en donne, Kant insiste encore davantage sur le caractère insoutenable de la thèse : en revanche, il ne l’établit sur aucune raison et ne démontre pas comment elle se pose nécessairement en place de l’antithèse, et réciproquement il ne voit aucune raison à opposer à l’antithèse. C’est subrepticement qu’il introduit la thèse ; il l’appelle lui-même (p. 562 ; V, 590) une supposition arbitraire dont l’objet pourrait bien être impossible en soi ; Kant ne fait au fond que déployer des efforts tout à fait impuissants pour lui procurer quelque part une petite place sûre, en face d’une antithèse dont la vérité est incontestable, s’évertuant