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le monde comme volonté et comme représentation

à ne pas dévoiler tout le néant de ce procédé qui consiste à trouver dans la raison humaine des antinomies nécessaires.


Suit le chapitre sur l’idéal transcendant, qui nous transporte d’un coup dans la scolastique figée du moyen âge. On croirait entendre Anselme de Canterbury lui-même. L’ens realissimum, quintessence de toutes les réalités, contenu de toutes les propositions affirmatives, apparaît, avec la prétention d’être une notion nécessaire de la raison. — Pour ma part je dois avouer qu’il est impossible à ma raison de produire une telle notion, et que les mots qui servent à la caractériser n’éveillent en moi aucune idée précise.

Je ne doute d’ailleurs pas que Kant n’ait été amené à écrire ce chapitre singulier et indigne de lui, sous l’influence de sa prédilection pour la symétrie architectonique.

Les trois objets principaux de la scolastique (qui, entendus dans un sens plus large, ont régné, comme je l’ai dit, dans la philosophie jusqu’à Kant), l’âme, le monde et Dieu, devaient être déduits des trois majeures possibles de syllogismes ; bien qu’il soit évident que ces notions ne sont nées et ne pouvaient naître que par une application rigoureuse du principe de raison. Donc, après qu’on eût forcé l’âme d’entrer dans le jugement catégorique, après avoir réservé au monde le jugement hypothétique, il ne restait pour la troisième Idée que la majeure discursive. Fort heureusement un travail préparatoire en ce sens se trouvait avoir été fait, à savoir l’ens realissimum des scolastiques, accompagné de la démonstration ontologique de l’existence de Dieu, preuve posée sous forme rudimentaire par saint Anselme, puis perfectionnée par Descartes. Ces éléments, Kant les exploita avec joie, en y mêlant quelques réminiscences d’une œuvre de jeunesse écrite en latin. Toutefois le sacrifice que Kant fait, sous la forme de ce chapitre, à son amour pour la symétrie architectonique dépasse toute mesure. En dépit de toute vérité, la représentation grotesque, puisqu’il faut le dire, d’une quintessence de toutes les réalités possibles y est présentée comme une notion essentielle et nécessaire de la raison. Pour la déduire, Kant émet cette assertion fausse, que notre connaissance des choses particulières a lieu par une limitation de plus en plus grande de concepts généraux, qu’il faut aboutir par conséquent à un concept souverainement général, qui renferme en soi toute réalité. Cette affirmation est aussi contraire à sa propre doctrine qu’à la vérité ; car, tout à l’opposé, notre connaissance part du particulier, pour s’élargir et s’étendre jusqu’au général ; les notions