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SUPPLÉMENT AU LIVRE PREMIER

PREMIÈRE PARTIE
LA THÉORIE DE LA REPRÉSENTATION INTUITIVE
(§§ 1-7 du premier volume)



CHAPITRE PREMIER
LE POINT DE VUE IDÉALISTE

Des sphères brillantes en nombre infini, dans l’espace illimité, une douzaine environ de sphères plus petites et plus éclairées, qui se meuvent autour de chacune d’elles, chaudes à l’intérieur, mais froides et solidifiées à la surface, des êtres vivants et intelligents sortis de l’espèce de moisissure qui les enduit, — voilà la vérité empirique, voilà le monde. Cependant c’est une situation bien critique pour un être qui pense, que d’appartenir à une de ces sphères innombrables emportées dans l’espace illimité, sans savoir d’où il vient et où il va, perdu dans la foule d’autres êtres semblables, qui s’efforcent, se travaillent, se tourmentent, passent rapidement et renaissent sans trêve dans le temps éternel. Là, rien de fixe que la matière, et le retour des mêmes formes diversement organisées, suivant de certaines lois, données une fois pour toutes. Tout ce que la science empirique peut nous apprendre, c’est la nature et les règles de l’apparition de ces formes. — Mais la philosophie moderne, avec Berkeley et Kant, s’est avisée enfin, que tout ce qui nous entoure n’est qu’un phénomène du cerveau, soumis à des conditions subjectives si nombreuses et si variées, que cette réalité absolue dont nous parlions doit faire place à une tout autre ordonnance du monde, et que le monde se réduit au substrat du phénomène, c’est-à-dire qu’il y a entre ceci et cela le même rapport qu’entre la chose en soi et sa manifestation.