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théorie de la représentation intuitive

— « Le monde est ma représentation » — voilà une proposition, semblable aux axiomes d’Euclide, que tout le monde doit admettre dès qu’il l’a comprise cependant ce n’est pas une de ces vérités qu’il suffit d’entendre pour l’admettre. — Faire comprendre cette proposition, y rattacher la question des rapports de l’idéal et du réel, c’est-à-dire du monde pensé au monde qui est en dehors de la pensée, ç’a été, avec le problème de la liberté morale, l’œuvre caractéristique de la philosophie moderne. Après des siècles de recherches dans le domaine de la philosophie objective, on découvrit pour la première fois que parmi tant de choses, qui rendent le monde si énigmatique et si digne de méditations, la plus importante à coup sûr est ce simple fait : quelle qu’en soit la grandeur et la masse, son existence cependant est suspendue à un fil très mince, j’entends la conscience, où il nous est chaque fois donné. Cette condition nécessaire de l’existence du monde lui imprime, en dehors de toute réalité empirique, un caractère d’idéalité, et partant de simple phénomène ; c’est pourquoi, — du moins par un côté, — on peut considérer ce fait comme étant de même nature que le rêve, et le classer dans la même catégorie. Car la fonction du cerveau, qui, pendant le sommeil, nous enchante par la vision d’un monde que nous voyons ou que nous touchons, peut avoir autant de part à la représentation du monde objectif pendant la veille. Ces mondes, quoique différents par la matière, procèdent visiblement d’une même forme. Cette forme est l’intellect, la fonction du cerveau. — Descartes est probablement le premier qui soit arrivé au degré de conscience que cette vérité fondamentale exige ; quoique en passant et sous forme de doute méthodique, il en a fait le point de départ de sa philosophie. En somme, en donnant le Cogito ergo sum comme la seule chose certaine, et l’existence du monde comme problématique, il avait trouvé le point de départ général, et d’ailleurs le seul juste, en même temps que le seul point d’appui de toute philosophie. Ce point d’appui, c’est essentiellement et nécessairement le subjectif, la conscience proprement dite. Car cela seul est une donnée immédiate ; tout le reste, quel qu’il soit, trouve son moyen et sa condition dans la conscience ; il lui est soumis par conséquent. Aussi est-ce avec raison que l’on considère Descartes comme le père de la philosophie moderne, et qu’on la fait commencer avec lui. Peu de temps après, Berkeley s’avance très loin dans cette voie, et aboutit à l’idéalisme proprement dit, c’est-à-dire à cette notion, que l’étendu dans l’espace, le monde objectif, matériel, — en tant que tel, — n’existe que dans notre représentation, et qu’il est faux, absurde même, de lui attribuer, en tant que tel, une existence en dehors de toute représentation, et indépendamment du sujet connaissant, c’est-à-dire d’en voir le