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le point de vue idéaliste

jective dans les deux cas, elle est tout entière sur l’un ou l’autre bord, et ne peut par conséquent servir de fond. Si comme Locke et Hume le supposaient, elle est à posteriori c’est-à-dire dérivée de l’expérience, elle est d’origine objective, elle appartient à ce monde extérieur, qui est précisément en question, et ne peut par conséquent en garantir la réalité : car alors, suivant la méthode de Locke, la loi de causalité se prouverait par l’expérience, et la réalité de l’expérience par la loi de causalité. Si au contraire, comme Kant le soutient, et à plus juste titre, elle est donnée à priori, elle est d’origine subjective, et alors il est clair qu’avec elle nous restons toujours dont le domaine du subjectif. Car la seule véritable donnée empirique, dans l’intuition, est l’entrée d’une sensation dans un organe des sens. L’hypothèse que cette sensation, même en général, doit avoir une cause, repose sur une loi qui a sa racine dans la forme de la connaissance, c’est-à-dire dans une fonction de notre cerveau, loi dont l’origine est par conséquent aussi subjective, que cette sensation elle-même. La cause attribuée à la sensation conformément à cette loi, se représente immédiatement dans l’intuition, comme objet, c’est-à-dire comme quelque chose dont la manifestation est soumise à la forme de l’espace et du temps. Mais ces formes sont, elles aussi, d’origine subjective elles sont le caractère même de notre faculté d’intuition. Ce passage de la sensation à sa cause, qui est à la racine de l’intuition sensible, comme je l’ai répété si souvent, suffit sans doute à nous prouver la présence empirique d’un objet, dans l’espace et dans le temps, et par conséquent répond bien à toutes les nécessités de la vie pratique ; mais cela ne suffit nullement pour nous garantir l’existence en soi de phénomènes qui se manifestent à tous de cette façon et à plus forte raison de leur substrat intelligible. De ce que certaines sensations de mes organes sensoriels sont l’occasion d’une intuition de mon cerveau, composée d’objets étendus dans l’espace, qui durent dans le temps, et qui agissent comme motifs, il n’en résulte pas que je sois autorisé à supposer que ces objets avec les qualités particulières qui leur appartiennent, existent en eux-mêmes, c’est-à-dire indépendamment de mon cerveau et en dehors de lui. — Telles sont les conclusions légitimes de la philosophie de Kant. Elles se rattachent à une théorie antérieure de Locke, laquelle est aussi juste, mais moins solidement déduite. Si en effet, comme la théorie de Locke t’accorde, les objets extérieurs se ramènent à la sensation comme étant sa cause, il ne peut y avoir aucune ressemblance entre la sensation, qui est l’effet, et l’essence objective de la cause, qui l’a produite ; car la sensation, en tant que fonction organique, est déterminée par la nature artiste et complexe de nos organes, laquelle collabore à la sensation ; par suite elle est