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théorie de la représentation intuitive

simplement occasionnée par la cause extérieure, et ensuite elle est façonnée par les lois mêmes de notre sensibilité, c’est-à-dire qu’elle est entièrement subjective. La philosophie de Locke était la critique des fonctions des sens ; la philosophie de Kant nous a donné la critique des fonctions du cerveau. Il faut ajouter à tout cela les conclusions de Berkeley que j’ai reprises à mon compte, savoir que tout objet, quelle qu’en soit l’origine en tant qu’objet, est déjà conditionné par le sujet, c’est-à-dire n’en est essentiellement que la représentation. Ainsi, le but du réalisme est un objet sans sujet, et il n’est même pas possible de savoir clairement ce que cela veut dire.

De tout cet exposé, il résulte bien clairement que vouloir atteindre l’essence intime des choses est une tentative illusoire, du moins par voie de représentation et dans la connaissance pure et simple. Car la représentation n’atteint les choses que par le dehors, et par conséquent ne peut les pénétrer. Pour y arriver, il nous faudrait nous placer à l’intérieur même des choses. Alors nous pourrions les connaître immédiatement. L’objet de mon second livre est précisément cette connaissance, dans la mesure où elle est possible. Mais tant que nous en resterons, comme dans ce premier livre, à la perception objective, c’est-à-dire à la connaissance, le monde est et reste pour nous une simple représentation, car ici il n’y a pas de chemin qui puisse nous conduire au de la.

Mais en outre il est bon de maintenir le point de vue idéaliste pour faire contrepoids au point de vue matérialiste. On peut considérer toute controverse sur le Réel et l’Idéal comme concernant l’existence de la matière ; car c’est en dernière analyse la réalité ou l’idéalité de celle-ci qui est débattue. La matière, comme telle, existe-t-elle dans notre représentation, ou est-elle indépendante de toute représentation ? Dans le dernier cas, elle serait la chose en soi, et quiconque suppose une matière existant par elle-même, doit, pour être conséquent, se déclarer aussi matérialiste, c’est-à-dire faire de la matière le principe d’explication de toutes choses. Celui au contraire qui la nie comme chose en soi, est par le fait même idéaliste. Locke, seul parmi les modernes, a soutenu absolument et sans réserves la réalité de la matière. Aussi sa doctrine, grâce à Condillac, a-t-elle produit le sensualisme et le matérialisme des Français. Berkeley seul a nié la matière absolument et sans restrictions. De là résulte l’antithèse du matérialisme et de l’idéalisme représentée dans ses extrêmes par Berkeley et par les matérialistes français (d’Holbach). Fichte ne doit pas être mentionné ici : il ne mérite aucune place parmi les vrais philosophes, parmi ces élus de l’humanité, qui cherchent avec un sérieux profond, non leur propre intérêt mais la vérité, et qui par conséquent ne peuvent être mis en parallèle avec des gens, qui, sous le même prétexte, n’ont