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théorie de la représentation intuitive

rapport à la matière, mais la dépendance d la matière par rapport au sujet, que l’on démontre. En vérité, cela ne se comprend pas aussi facilement, et ne se manie pas avec autant de commodité, que les deux substances du spiritualisme ; mais χαλεμα τα καλα[1].

D’ailleurs à l’axiome fondamental de la philosophie subjective : « le monde est ma représentation », on peut, avec autant de raison semble-t-il, opposer celui de la philosophie objective « le monde est matière », ou « la matière seule est » (en tant qu’elle n’est soumise ni à la mort, ni au devenir), ou bien encore « tout ce qui existe est matière ». Tel est l’axiome fondamental de Démocrite, de Leucippe, et d’Épicure. Mais à examiner les choses de plus près, il y a un réel avantage à chercher non plus au dehors, mais dans le sujet même, le point de départ d’un système : cela permet de faire un pas en avant, qui est pleinement justifié. Car la conscience est la seule chose immédiatement donnée, et nous passons par-dessus, lorsque nous allons directement à la matière et que nous en faisons notre point de départ. D’autre part, on pourrait très bien construire le monde avec la matière et ses propriétés, une fois définies et complètement dénombrées (mais c’est ce dénombrement qui est le point délicat). Car tout ce qui existe est le résultat de causes réelles, qui ne pouvaient agir, et agir de concert, qu’en vertu des forces fondamentales de la matière ; mais ces forces doivent au moins être démontrables objectivement, puisque nous ne pourrons jamais les connaître subjectivement. Il est vrai qu’une telle explication et une telle construction du monde n’exigeraient pas seulement l’hypothèse préalable d’une existence en soi de la matière (laquelle est en réalité conditionnée par le sujet) elles devraient encore montrer que les propriétés originelles inhérentes à cette matière sont inexplicables, et les donner comme des qualités occultes (Voir § 26, 27, 1er vol.). Car la matière n’est que le support de ces forces, comme la loi de causalité n’est que la règle de leurs manifestations. Cependant une telle explication du monde serait toujours relative et conditionnée, ce serait proprement l’œuvre d’une physique, qui, à chaque pas, sentirait le besoin d’une métaphysique. D’un autre côté, le point de départ et l’axiome fondamental de la philosophie subjective, « le monde est ma représentation », est également incomplet : d’abord parce que le monde est encore autre chose (chose en soi, Volonté), et que partout la forme ou la représentation n’est pour lui qu’une forme accidentelle ; ensuite, parce que le sujet en tant que tel est conditionné par l’objet. Car si le grossier principe de l’entendement « Le monde, l’objet existerait encore, en l’absence de tout sujet », est faux, cet

  1. « Les belles choses sont difficiles. »