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le point de vue idéaliste

autre ne l’est pas moins : « Le sujet serait encore connaissant en l’absence de tout objet, c’est-à-dire de toute représentation ». Une conscience sans objet n’est pas une conscience. Un sujet pensant a des concepts en rapport avec son objet, un sujet intuitif a des objets doués de qualités correspondantes à son organisation. Si maintenant nous dépouillons le sujet des qualités et formes les plus intimes de sa connaissance, toutes les propriétés de l’objet disparaissent en même temps, et il ne reste plus rien que la matière sans forme et sans qualités, qui est aussi peu matière d’expérience que le sujet sans les formes de la connaissance, mais qui reste cependant en face du sujet nu, lequel, étant son reflet, ne peut disparaître qu’avec lui. Bien que le matérialisme s’imagine borner ses postulats à cette matière, à l’atome, il y ajoute inconsciemment non seulement le sujet, mais aussi l’espace, le temps et la cause, qui reposent sur des déterminations particulières du sujet.

Le monde comme représentation, le monde objectif a donc deux pôles : le sujet connaissant pur et simple, dépouillé des formes de sa connaissance, et ensuite la matière brute, sans formes ni qualités. Tous deux sont absolument inconnaissables, le sujet, parce qu’il est la chose qui connaît, la matière, parce que, sans formes et qualités, elle ne peut être l’objet d’une intuition. Cependant tous deux sont les conditions essentielles de toute intuition empirique. Et ainsi, à côté de la matière brute, sans forme et sans vie (c’est-à-dire sans volonté), qui n’est donnée dans aucune expérience, mais qui est supposée dans chacune, s’élève comme un pur miroir, le sujet connaissant, en tant que tel, qui de même précède toute expérience. Le sujet n’est pas dans le temps ; car le temps est la forme la plus prochaine de son mode de représentation ; la matière, qui gît à côté, qui lui correspond, est éternelle et immortelle, fixe dans le temps infini ; elle n’est même pas étendue, car l’étendue donne une forme ; elle n’est donc pas dans l’espace. Tout le reste est dans un perpétuel mouvement de vie et de mort, tandis que le sujet et la matière représentent les deux pôles immobiles du monde comme représentation. On peut par conséquent considérer la matière immobile comme le reflet du sujet pur, en dehors du temps, envisagé comme condition pure et simple de tout objet. Tous deux appartiennent au phénomène, et non à la chose en soi ; mais ils sont le matériel indispensable de tout phénomène. On ne peut les obtenir que par abstraction ; ils ne sont pas donnés à l’état pur et en eux-mêmes.

Le vice fondamental de tous les systèmes consiste à méconnaître cette vérité, que l’Intellect et la matière sont corrélatifs, c’est-à-dire que l’un n’existe que pour l’autre que tous deux se tiennent et sont solidaires, que l’un n’est que le reflet de l’autre, en un