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le monde comme volonté et comme représentation

l’étaient parfaitement, son jugement contiendrait l’impossibilité pour un triangle, d’être à la fois rectangle et équilatéral. — À cela je répondrai : J’admets que la notion du triangle ne soit pas complète chez lui ; mais sans recourir à l’expérience, il peut étendre cette notion, par une simple construction du triangle dans sa tête, et se convaincre pour l’éternité de l’impossibilité d’unir les deux concepts de « rectangle » et d’ « équilatéral » ; mais cette façon de procéder est un jugement synthétique à priori, c’est-à-dire un de ceux qui nous servent à former et à compléter nos concepts, sans recourir à l’expérience, et qui valent pour toute expérience possible. En général, un jugement est analytique ou synthétique, dans un cas donné, suivant que la notion du sujet est plus ou moins complète dans la tête de celui qui juge : la notion « chat » est beaucoup plus riche dans la tête de Cuvier que dans celle de son domestique. C’est pourquoi les mêmes jugements sur ce sujet sont chez l’un synthétiques, et chez l’autre, simplement analytiques. Veut-on maintenant prendre les concepts objectivement, et voir si le jugement donné est analytique ou synthétique ? on doit substituer à l’attribut son opposé contradictoire et l’adjoindre sans copule au sujet ; s’il en résulte une contradiction « in adjecto », le jugement était analytique autrement il était synthétique.

L’arithmétique repose sur l’intuition pure du temps ; mais ce fondement n’est pas aussi manifeste que celui de la géométrie, qui est l’intuition pure de l’espace. On peut cependant le prouver de la manière suivante. Compter n’est pas autre chose que répéter l’unité : c’est uniquement pour ne pas oublier combien de fois déjà nous l’avons répétée, que nous la désignons chaque fois par un autre mot ; ce sont les noms de nombre. Mais la répétition n’est possible que par la succession ; celle-ci, c’est-à-dire la marche de l’un après l’autre, repose immédiatement sur l’intuition du temps, et n’est un concept complet que grâce à lui ; il n’est donc possible de compter que dans le temps. Ce fait que la numération repose sur le temps se trahit par cet autre, que dans toutes les langues, la multiplication est désignée par le mot « fois », c’est-à-dire par un concept de temps sexiès, εξακις, six fois, six times. Mais maintenant la simple numération est déjà une multiplication par un ; aussi, dans l’Institut de Pestalozzi, les enfants devaient multiplier ainsi « Deux fois deux font quatre fois un ». Aristote lui aussi avait déjà reconnu et exposé cette étroite alliance du nombre et du temps, dans le xive chapitre du IIe livre de la Physique. Le temps, suivant sa définition, est « le nombre du mouvement (ο χρονος αριθμος εστι κινησεως). Il se pose la question profonde de savoir si le temps existerait encore, en l’absence de l’âme, et il conclut à la négative.