Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
sur la connaissance a priori

Bien que le temps, comme l’espace, soit la forme de connaissance du sujet, il nous est donné cependant — de même que l’espace — comme indépendant du sujet et absolument objectif. Malgré notre volonté, ou sans elle, il court ou se ralentit. On demande l’heure, on s’occupe du temps, comme de choses entièrement objectives. Et qu’est-ce que cet objectif ? Ce n’est pas la marche des astres, ou celle des pendules, qui ne servent qu’à mesurer la marche même du temps ; c’est quelque chose qui diffère de toutes les choses, et qui cependant, comme elle, est indépendant de notre volonté et de notre savoir. Il n’existe que dans les têtes des êtres pensants ; mais la régularité de la marche, et son indépendance de la volonté, lui donnent des droits à l’objectivité.

Le temps est surtout la forme du sens intime. Anticipant ici sur le second livre, je remarque que l’objet un et identique du sens intime est la volonté propre du sujet connaissant. Le temps est par conséquent la forme, grâce à laquelle la volonté individuelle, qui est originellement inconsciente, peut se connaître elle-même. C’est en lui que son être, simple et identique en soi, apparaît comme développé dans le cours d’une existence. Mais à cause de la simplicité et de l’identité originelles de la volonté se représentant ainsi, son caractère reste toujours le même. C’est pourquoi la vie d’un individu dans son ensemble conserve toujours le même ton fondamental : les événements multiples et les scènes de la vie ne sont au fond que des variations sur un même thème.

Le caractère à priori du principe de causalité ou n’a pas été vu, ou n’a été bien compris des Anglais et des Français. Aussi quelques-uns d’entre eux ont-ils poursuivi les anciennes recherches, pour lui trouver une origine empirique. Maine de Biran voit cette origine dans ce fait d’expérience, que l’acte volontaire comme cause est suivi d’un mouvement matériel comme effet. Mais ce fait lui-même est faux. Nous ne reconnaissons nullement l’action immédiate particulière de la volonté comme différente de l’action du corps, et nous ne voyons pas de lien causal entre l’une et l’autre ; toutes deux nous apparaissent comme une seule et même chose il est impossible de les séparer. Il n’y a entre elles aucune succession ; elles sont simultanées. C’est une seule et même chose perçue de deux façons différentes ; car ce qui nous est donné dans la perception intime (la conscience) comme un acte réel de la volonté, nous apparaît dans l’intuition externe, où le corps est objectivé, comme un acte de ce même corps. Que l’action des nerfs précède physiologiquement l’action des muscles, c’est ce dont nous n’avons pas à tenir compte ici ; car cela ne tombe pas sous la conscience, et il n’est pas ici question des rapports des muscles et des nerfs, mais de ceux du corps et de la volonté. Or ce rapport ne nous apparaît