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le monde comme volonté et comme représentation

pas sous la forme d’un lien causal. Si ces deux faits se présentaient à nous comme cause et comme effet, leur lien ne nous paraîtrait pas aussi insaisissable qu’il l’est en réalité : car ce que nous comprenons comme cause d’un effet, nous ne le comprenons en général qu’autant qu’il nous fait comprendre les choses, qu’il nous en donne l’explication. Or le mouvement du corps obéissant à un acte pur et simple de la volonté, est au contraire pour nous une merveille si habituelle, que nous ne la remarquons plus ; mais si nous y appliquons notre attention, nous comprenons tout de suite et très vivement ce qu’il y a de mystérieux dans ce fait, précisément parce que nous sommes en présence de quelque chose qui ne nous apparaît pas comme l’effet d’une cause. Cette perception ne pourrait donc jamais nous conduire à la notion de causalité, car elle ne la contient pas. Maine de Biran lui-même reconnaît la complète simultanéité de l’acte volontaire et du mouvement corporel (Nouvelles considérations sur les rapports du physique au moral, pp. 378-8). En Angleterre, Th. Reid (On the first principles of contingent truths. VI, c. V), a déjà formulé ce principe que la connaissance du rapport causal a son fondement dans l’essence même de notre faculté de connaître. Plus récemment Th. Brown a professé la même opinion dans son livre si prolixe : Inquiry in to the relation of cause and effect (4e édit., 1835), à savoir que cette connaissance résulte d’une conviction innée, intuitive, instinctive : il est donc, à peu près, dans la bonne voie. Cependant, par une ignorance impardonnable 130 pages de son gros volume, qui en compte 476, sont consacrées à la réfutation de Hume, alors qu’il n’est pas fait la moindre mention de Kant, qui, il y a soixante-dix ans déjà, a complètement élucidé la question. Si le latin était resté la langue scientifique par excellence, cela ne serait point arrivé. Malgré les explications, exactes dans leur ensemble, qu’a données Brown, une modification de la doctrine de Maine de Biran sur l’origine empirique de la loi de causalité s’est introduite en Angleterre, parce qu’elle n’est pas sans quelque vraisemblance c’est que nous abstrayons la loi de causalité de l’impression tout empirique qu’exerce notre propre corps sur des corps étrangers. Hume a déjà réfuté cette théorie, et moi j’ai montré son peu de solidité dans mon écrit sur la Volonté dans la nature (p. 75 de la 2° édition), en partant du principe que, pour percevoir mon propre corps objectivement dans une intuition d’espace, je dois avoir préalablement la notion de cause, attendu qu’elle est la condition d’une telle intuition. Au vrai, c’est donc la nécessité de passer de la sensation purement empirique à la cause de cette sensation pour arriver à l’intuition du monde extérieur, qui est la seule et véritable preuve que nous cherchons, à savoir que le principe de causalité préexiste à toute expérience. C’est pourquoi