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le monde comme volonté et comme représentation

côté la connaissance toujours intuitive — reposant sur la forme de l’entendement — des causes et des effets, pour s’en tenir au terme abstrait de cause ; cela a suffi pour que le concept de causalité, quoique très simple, fût souvent mal interprété. Aussi voyons-nous chez Aristote lui-même (Métaphys., IV, 2) une division des causes en quatre classes, qui est radicalement fausse, et même tout à fait grossière. Que l’on compare avec cela ma classification des causes, telle que je l’ai dressée une première fois dans mon traité sur la Vue et les couleurs, ch. i ; j’ai ensuite brièvement touché cette question dans le chapitre vi de mon premier volume puis je l’ai exposée tout au long dans mon mémoire sur la Liberté du vouloir, pp. 30, 33. Deux êtres seuls, dans toute la nature, restent en dehors de la série des causes, qui est infinie d’un côté comme de l’autre, c’est la matière et l’ensemble des forces naturelles, car ces deux essences sont les conditions de la causalité, tandis que tout le reste est conditionné par elle. L’une en effet (la matière) est le lieu où se produisent les phénomènes et leurs modifications les autres (les forces naturelles) sont ce par quoi seul les phénomènes peuvent se produire. Que l’on se rappelle ici que dans le second livre, et aussi dans la Volonté dans la nature, mais d’une façon plus complète, nous avons montré l’identité des forces naturelles et de la volonté nous y avons présenté la matière comme la simple visibilité de la volonté, si bien qu’en dernière analyse, et dans un certain sens, elle peut être considérée comme identique avec la volonté.

D’autre part, il n’en reste pas moins vrai, comme nous l’avons déduit dans le chap. iv du premier volume, et mieux encore dans la seconde édition de notre traité sur le principe de raison à la fin du ch. xxi, que la matière est la causalité même prise objectivement, car toute son essence consiste en général dans l’agir ; elle-même est l’activité (ενεργεια = réalité) des choses, l’abstraction, pour ainsi dire, de leurs différents modes d’activité. Puis donc que l’être de la matière (essentia) consiste surtout dans l’agir, et que la réalité des choses (existentia) consiste dans leur matérialité, on peut affirmer de la matière, qu’en elle l’essence et l’existence coïncident et ne font qu’un car elle n’a pas d’autre attribut que l’existence elle-même en général, indépendamment de toute autre détermination. En revanche, toute matière empiriquement donnée (c’est-à-dire ce que nos matérialistes ignorants d’aujourd’hui confondent avec la matière) est déjà entrée dans le moule des formes, et ne se manifeste que par leurs qualités et leurs accidents ; parce que dans l’expérience tout acte nous apparaît d’une façon particulière et déterminée, et non pas simplement comme un acte général. C’est pourquoi la matière pure n’est qu’un objet de la pensée, et non pas