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PRÆDICABILIA A PRIORI


Le tableau en trois colonnes n'étant pas lisible dans la présentation en ligne, il a été réénoncé en paragraphes suivant les mêmes numéros.

T.Du Temps

E.De l'Espace

M.De la Matière


1.

T. — Il n’y a qu’un temps et tous les temps particuliers ne sont que des parties de celui-là.

E. — Il n’y a qu’un espace et tous les espaces particuliers ne sont que des parties de celui-là.

M. — Il n’y a qu’une matière et toutes les matières particulières ne sont que des états différents de celle-là à laquelle on donne le nom général de substance.

2.

T. — Les temps différents ne sont point simultanés ; ils sont successifs.

E. — Les espaces différents ne sont point successifs ; ils sont simultanés.

M. — Les différents états de la matière ne sont point différents par la substance, mais par les accidents.

3.

T. — On ne peut supprimer le temps par la pensée ; pourtant on peut supprimer tout ce qui sort de lui.

E. — On ne peut supprimer l’espace par la pensée ; pourtant on peut supprimer tout ce qui sort de lui.

M. — La négation de la matière est chose impensable, pourtant on peut concevoir la négation de toutes ses formes et de toutes ses qualités.

4.

T. — Le temps se divise en trois, le passé, le présent et le futur : ce sont comme deux directions contraires séparées par un point zéro.

E. — L’espace a trois dimensions, profondeur, largeur et longueur.

M. — La matière existe, c’est-à-dire agit, suivant les dimensions de l’espace et dans toute la longueur du temps ; par suite elle unit l’un et l’autre et les remplit tous deux, c’est en cela que consiste son essence ; elle est donc tout entière causalité.

5.

T. — Le temps est divisible à l’infini.

E. — L’espace est divisible à l’infini.

M. — La matière est divisible à l’infini.

6.

T. — Le temps est homogène et continu, autrement dit aucune de ses parties n’est différente d’une autre et on ne pourrait les séparer entre elles qu’à condition de supprimer le temps.

E. — L’espace est continu, autrement dit, aucune de ses parties n’est différente d’une autre et on ne pourrait les séparer entre elles qu’à condition de supprimer l’espace.

M. — La matière est homogène et continue, autrement dit, elle ne se compose pas de parties originairement diverses, les homéoméries, ni originairement séparées, les atomes ; par suite elle n’est point un agrégat de parties séparées essentiellement entre elles par quelque chose d’étranger à la matière.

7.

T. — Le temps n’a ni commencement ni fin : tout commencement et toute fin sont en lui.

E. — L’espace n’a ni commencement ni fin : tout commencement et toute fin sont en lui.

M. — La matière ne naît ni ne meurt : toute naissance et toute mort sont en elles.

8.

T. — C’est au moyen du temps que nous comptons (zahlen).

E. — C’est au moyen de l’espace que nous mesurons (messen).

8. – C’est au moyen de la matière que nous pesons (wagen).

9.

T. — Le rythme est uniquement dans le temps.

E. — La symétrie est uniquement dans l’espace.

M. — L’équilibre est uniquement dans la matière.

10.

T. — Nous connaissons a priori les lois du temps.

E. — Nous connaissons a priori les lois de l’espace.

M. — Nous connaissons a priori les lois de la substance de tous les accidents.

11.

T. — Le temps peut être représenté intuitivement a priori, sous la simple forme d’une ligne.

E. — L’espace peut être représenté intuitivement a priori d’une manière directe.

M. — A priori, on ne peut que penser la matière

12.

T. — Le temps n’a aucune consistance : dès qu’il est, il passe.

E. — L’espace ne peut point passer ; au contraire il subsiste toujours.

M. — Les accidents changent, la substance demeure.

13.

T. — Le temps n’a point d’arrêt.

E. — L’espace est immuable.

M. — La matière est indifférente au repos ou au mouvement, autrement dit elle n’est originairement portée ni vers l’un ni vers l’autre.

14.

T. — Tout ce qui est dans le temps a une durée.

E. — Tout ce qui est dans l’espace a un lieu.

M. — Tout ce qui est matériel a une activité.

15.

T. — Le temps n’a point de durée, mais toute durée est en lui : toute durée est la persistance de ce qui demeure en opposition avec la course sans trêve du temps.

E. — L’espace n’a point de mouvement, mais tout mouvement est en lui ; tout mouvement est un changement de lieu subi par un mobile, en opposition avec le repos inébranlable de l’espace.

M. — La matière est ce qui demeure dans le temps, ce qui se meut dans l’espace : c’est par la comparaison de ce qui est en repos et de ce qui est en mouvement que nous mesurons la matière.