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doctrine de la représentation abstraite

essaie de lancer des corps très légers : il y a bien une certaine force et un certain effort dépensé ; mais cet effort manque d’objet où se prendre, et la réaction n’a pas lieu. À ceux qui seraient curieux de faire cette expérience, je recommande les productions des disciples de Schelling, ou mieux, les livres des Hégéliens. — Une idée simple devrait être une idée inanalysable, par conséquent ne pouvoir être le sujet d’un jugement analytique ; ce que je considère comme impossible, car lorsqu’on pense un concept, on doit aussi pouvoir dire ce qu’il y a dedans. Ce que l’on donne comme des exemples d’idées simples, n’est déjà plus idée, mais pure sensation, comme par exemple, celle d’une couleur déterminée, ou bien forme a priori de l’intuition, c’est-à-dire éléments derniers de la connaissance intuitive, ce qui est, pour le système de notre pensée, ce qu’est le granit en géologie, la dernière couche solide, qui supporte tout le reste : on ne peut pas aller plus loin. Pour qu’un concept signifie quelque chose, il faut, non seulement qu’on puisse en distinguer les attributs, mais qu’on puisse analyser ces attributs eux-mêmes, au cas où ils seraient également abstraits, jusqu’à ce qu’on arrive, de proche en proche, à la connaissance intuitive, c’est-à-dire aux choses concrètes sur lesquelles s’appuient les dernières couches de l’abstraction, et grâce auxquelles une réalité quelconque est assurée à ces dernières abstractions, comme à toutes celles qui s’élèvent au-dessus. Aussi l’explication habituelle, qui consiste à donner pour clair un concept, dès qu’on peut en déterminer les attributs, n’est-elle pas suffisante car en analysant ces attributs, nous pouvons nous trouver ramenés à de simples concepts, sans qu’il y ait une intuition sous ces concepts ; or nous savons que l’intuition en fait toute la réalité. Prenons, par exemple, le concept « Esprit », et réduisons-le à ses attributs « un être doué de pensée, de volonté, immatériel, simple, inétendu, indestructible » il n’y a rien de clair dans tout cela, car les éléments de ces concepts ne s’appuient pas sur des intuitions. Un être pensant, sans cerveau, c’est un être qui digère sans estomac. Seules les intuitions sont claires et non pas les concepts. Ceux-ci peuvent tout au plus être intelligibles. Aussi lorsqu’on a donné la connaissance intuitive comme étant obscure, on a fait synonymes le jour et la nuit, si absurde que cela semble ; car on a eu l’air de considérer la connaissance abstraite comme la seule qui fût claire. C’est ce qu’a fait d’abord Duns Scot ; c’est aussi, en dernière analyse, l’opinion de Leibnitz son « Identité des indiscernables » repose là-dessus. Il faut lire à ce sujet la réfutation de Kant (p. 275 de la première édition de la Critique de la Raison pure).

Tout à l’heure nous avons parlé brièvement du lien qui rattache le concept au mot, c’est-à-dire le langage à la Raison. Cette union