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le monde comme volonté et comme représentation

déclarait tout connaissable, et la critique de Kant qui désespère de rien connaître. Mais les vérités importantes, que nous devons à Kant et qui ont anéanti les systèmes antérieurs de métaphysique, m’ont fourni pour mon propre système les données et les matériaux. Il sera bon de se reporter à ce que je dis de ma méthode au chapitre XVII des Suppléments. — En voilà assez sur l’idée fondamentale de Kant ; nous allons maintenant considérer le développement et le détail de la doctrine.


Le style de Kant porte en général la marque d’un esprit supérieur, d’une vraie et d’une puissante originalité, d’une force de pensée tout à fait extraordinaire ; sobriété lumineuse, tel est assez exactement le caractère de ce style ; au moyen de cette qualité, Kant a trouvé le secret de serrer de très près les idées, de les déterminer avec une grande sûreté, puis de les tourner et retourner en tout sens avec une aisance singulière qui fait l’étonnement du lecteur. Cette sobriété lumineuse, je la retrouve dans le style d’Aristote, bien que ce dernier soit beaucoup plus simple. — Malgré tout, chez Kant, l’exposition est souvent confuse, indécise, insuffisante et parfois obscure. Sans doute, ce dernier défaut trouve en partie son excuse dans la difficulté de la matière et dans la profondeur des pensées ; cependant, lorsqu’on voit tout à fait clair dans ses pensées, lorsqu’on sait d’une manière parfaitement nette ce que l’on pense et ce que l’on veut, jamais on ne produit au jour des idées flottantes ou indécises, jamais non plus pour les exprimer on n’emprunte aux langues étrangères des expressions pénibles et alambiquées, destinées à revenir constamment dans tout l’ouvrage. Kant fait pourtant ainsi : il emprunte à la philosophie scolastique des mots et des formules ; puis il les combine ensemble pour son propre usage ; il parle, par exemple, de « l’unité transcendantale synthétique de l’aperception[1] » ; Et surtout il dit « unité de la synthèse[2] », là où il suffirait de dire tout simplement « unification[3] ». Un écrivain tout à fait maître de sa pensée s’abstient également de revenir sans cesse sur des explications déjà données, comme fait Kant à propos, par exemple, de l’entendement, des catégories, de l’expérience et de plusieurs autres idées importantes ; il s’abstient surtout de se répéter à satiété et de laisser néanmoins, après chaque exposition d’une idée qui revient pour la centième fois, toujours les mêmes points obscurs ; il dit ce qu’il pense une fois pour toutes, d’une manière nette, com-

  1. « Transcendentale synthetische Einheit der Apperception. »
  2. « Einheit der Synthesis. »
  3. « Vereinigung. »