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doctrine de la représentation abstraite

rale, la littérature philosophique de tous les temps offre une foule d’exemples analogues. Celle de notre temps est riche à ce point de vue : que l’on considère par exemple les écrits de l’école de Schelling et que l’on examine les constructions édifiées sur des abstractions, telles que Fini et Infini, — Être, Non-être et Être différent (Andersseyn), — Activité, compression (Hemmung), Produit, — Action de déterminer et d’être déterminé, Détermination, — Limite, Action de limiter, Limitation (Begränztseyn), — Unité, Pluralité, Multiplicité, Identité, Diversité, Indifférence, — Penser, Être, Essence, etc. Non seulement ces constructions, édifiées avec de tels matériaux, sont exposées à toutes les critiques que nous venons de faire ; mais elles ont encore un autre inconvénient : de telles abstractions, si vastes, en raison même de leur extension infiniment grande, ne peuvent avoir qu’une compréhension extrêmement restreinte ; ce sont des enveloppes vides. Voilà donc pourquoi la matière de toutes les philosophies est étonnamment bornée et pauvre ; de là cet ennui indicible et cruel qui est propre à tous les écrits de ce genre. Si je voulais rappeler les abus que Hegel et consorts ont fait de ces abstractions si étendues et si vides, je devrais craindre qu’il ne nous en arrivât mal au lecteur et à moi ; car l’ennui le plus nauséabond plane sur le creux bavardage de ce philosophe rebutant.

Dans la philosophie pratique, il n’y a point de sagesse à tirer des simples concepts abstraits ; telle est assurément l’unique vérité que l’on puisse apprendre à la lecture des traités moraux du théologien Schleiermacher ; ces traités étaient originairement des leçons, au moyen desquelles ledit Schleiermacher a ennuyé l’Académie de Berlin pendant de longues années ; le recueil en est publié depuis peu. Dans ces traités, l’auteur ne prend pour point de départ que des concepts abstraits, tels que le devoir, la vertu, le souverain bien, la loi morale et autres ; il ne se donne guère la peine de nous indiquer le fondement de ces idées : il lui suffit de les avoir rencontrées dans la plupart des systèmes de morale, et il les traite comme des réalités données. Les concepts eux-mêmes ont chez lui l’honneur d’une discussion fort subtile ; mais quant à l’origine de ces concepts, c’est-à-dire quant à ce qui est son sujet, jamais il ne se risque à en parler ; jamais non plus il n’est question chez lui de la vie humaine ; et pourtant c’est exclusivement à la vie humaine que se rapportent tous ces concepts, c’est en elle qu’ils doivent être puisés, c’est à elle en réalité que la morale a affaire. Voilà justement pourquoi ces diatribes sont aussi stériles et vaines qu’elles sont ennuyeuses, ce qui est beaucoup dire. En tous temps on rencontre des gens semblables à ce théologien trop épris de la philosophie ; ils sont fameux durant leur vie, puis ils sont vite oubliés. Je préfère