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à propos de la théorie du ridicule

fort chaudement vêtue. — Qu’avez-vous donc mis ? — Toute ma garde-robe. » En effet ce dernier concept s’applique tout aussi bien à la garde-robe considérable d’un roi, qu’au vêtement d’été unique d’un pauvre diable ; mais la vue de ce vêtement sur un corps grelottant ne s’accorde guère avec le concept. Le public d’un théâtre de Paris réclama un jour la Marseillaise, et comme on la lui refusait, se mit à faire du tapage ; enfin, un commissaire de police en écharpe monte sur la scène et déclare qu’ « il ne doit pas paraître sur le théâtre autre chose que ce qu’il y a sur l’affiche’). Alors une voix : « Et vous, Monsieur, êtes-vous aussi sur l’affiche ? réplique qui souleva un éclat de rire unanime. L’assimilation de ces deux idées hétérogènes était, en effet, facile à saisir et n’avait rien de forcé. Dans l’épigramme suivante :

« Bavus est le pasteur fidèle dont parle l’Écriture
Quand son troupeau dort, lui seul reste éveillé. »


on assimile à un berger veillant près de ses brebis endormies le prédicateur ennuyeux qui a plongé toute sa communauté dans un doux sommeil et seul, sans auditeurs, continue à sermonner. Un exemple analogue est fourni par cette épitaphe d’un médecin « Il repose ici, semblable à un héros, entouré de cadavres ». La représentation enfermée dans cette épithète est honorable pour le héros, et on l’applique au médecin, qui a pour devoir de conserver la vie. Très souvent le mot d’esprit consiste en un seul terme, expression d’une idée qui s’applique fort bien au cas en question, mais qui est absolument détournée de son sens ordinaire. C’est ce que nous voyons dans Roméo, lorsque Mercutio, blessé à mort, dit aux amis qui promettent de venir le voir le lendemain : « Oui, venez, vous trouverez un homme silencieux ». Cette épithète signifie ici un homme mort. Le texte anglais contient encore une autre équivoque « A grave man », signifie, en effet, l’homme grave et l’homme que la tombe attend. L’anecdote connue de l’acteur Unzelmann est du même genre. Au théâtre de Berlin on avait sévèrement interdit toute improvisation. Unzelmann devait paraître à cheval sur la scène. À son arrivée sur le proscénium, le cheval laissa tomber une crotte. Cet incident égaya fort le public, mais l’hilarité fut à son comble, quand Unzelmann dit au cheval « Que fais-tu donc ? Ne sais-tu pas qu’il est interdit d’improviser ? » Ici l’application d’un concept général à un cas particulier hétérogène se fait sans difficulté, mais le mot d’esprit est fort piquant et provoque naturellement une grande gaieté. Ajoutons encore cette information, contenue dans le numéro de mars 1851 d’un journal de Halle : « La bande de filous juifs, dont nous avons parlé, a été ramenée dans notre ville, avec