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à propos de la théorie du ridicule

citer ici ce morceau, plus impossible encore de le traduire. On le trouvera, sous le titre d’Inscription dans Shentone’s Poetical works. Les équivoques dégénèrent parfois en simples calembours. Nous avons déjà parlé de ces derniers.

Cette subsomption d’une idée sous une autre qui lui convient à certains égards et qui à d’autres égards en diffère, subsomption qui est le fond même du rire, n’est pas toujours intentionnelle ainsi un de ces nègres libres de l’Amérique du Nord, qui s’efforcent d’imiter les blancs, gravait récemment sur la tombe de son enfant une épitaphe débutant par ces mots : « Lys aimable, trop tôt brisé. » Si, au contraire, quelque chose de réel, d’intuitif, est rangé à dessein sous le concept de ce qui en est le contraire, l’ironie alors n’est plus que commune et plate : ainsi, quand par une forte pluie nous disons : « Voici un temps agréable » ; — quand à la vue d’une fiancée laide nous nous écrions : « La belle compagne qu’il s’est choisie là » ; — quand nous disons d’un filou : « Cet homme d’honneur, etc. De telles plaisanteries ne feront rire que les enfants et les personnes dépourvues de toute culture ; car ici le désaccord entre le concept et la réalité est absolu. Toutefois, et justement à cause de leur caractère lourd et exagéré, elles ont l’avantage de faire ressortir clairement cet élément fondamental de tout rire, la divergence entre l’idée et l’intuition.

La parodie, parente de cette catégorie du rire, est, elle aussi, outrée et nettement intentionnelle. Elle s’empare des paroles d’un poème ou d’un drame sérieux, pour les attribuer à des personnages insignifiants et bas, et les emploie à caractériser des motifs frivoles et des actions mesquines. Elle range donc les réalités triviales qu’elle représente sous les concepts élevés donnés dans l’œuvre originale ; il faut que celles-là conviennent dans une certaine mesure à ceux-ci, quelle que soit d’ailleurs la différence qui les sépare, et c’est justement ce mélange de convenance et de disconvenance qui met fortement en relief le contraste entre le concept et l’intuition. Les exemples fameux ne manquent pas aussi me bornerai-je à en citer un seul que j’emprunte à la Zobéide de Carlo Gozzi, acte IV, sc. 3, où l’auteur met la stance fameuse de l’Arioste (Orl. fur., I, 22) : « Oh gran bontà de cavalieri antichi…) dans la bouche de deux polichinelles, qui après s’être roués de coups se sont paisiblement couchés l’un à côté de l’autre. — Dans cette catégorie rentre également l’application, fréquente en Allemagne, de vers de Schiller à des événements mesquins c’est une subsomption manifeste de l’hétérogène sous l’idée générale exprimée par le vers. « Je reconnais bien là mes soldats du régiment de Pappenheim », dira-t-on, si quelqu’un a fait un mauvais coup. Mais celui-là fut vraiment original et spirituel qui adressa à un jeune couple, dont la partie féminine