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doctrine de la représentation abstraite

même, dont toute démonstration emprunte sa certitude. Ce que nous venons de dire est vrai au fond de tout théorème géométrique, et il est fort délicat en cette matière de marquer la limite qui sépare ce qui est immédiatement certain de ce qui a besoin d’être démontré. — Je m’étonne plutôt qu’on n’attaque pas le huitième axiome : « Deux figures qui coïncident sont égales. » Car, ou la coïncidence n’est qu’une simple tautologie, ou elle est quelque chose de complètement empirique, qui ne relève pas de l’intuition pure, mais de l’expérience sensible. La coïncidence suppose en effet la mobilité des figures : mais il n’y a que la matière qui soit mobile dans l’espace. Par conséquent, s’appuyer sur la coïncidence, c’est quitter le domaine de l’espace pur, seul élément de la géométrie, pour passer au matériel et à l’empirique.

Les mathématiciens sont très fiers de l’inscription que Platon passe pour avoir placée à l’entrée de son école Ἀγεωμέτρητος μηδεὶς εἰσίτω : il est probable que si Platon exigeait de ses disciples la connaissance des figures géométriques, c’est uniquement parce qu’il les considérait comme des essences intermédiaires entre les idées éternelles et les objets particuliers, ainsi qu’Aristote le fait remarquer à plusieurs reprises dans sa Métaphysique (principalement I, ch. VI, pp. 887,998 et Scholia, p. 827, éd. de Berlin). De plus, ces figures présentaient à ses yeux l’avantage de rendre plus facilement sensible le contraste entre les formes éternelles, ou Idées, existant en soi, et les objets particuliers éphémères, et de pouvoir devenir ainsi la base de la doctrine des Idées, centre de la philosophie de Platon, bien plus, seul dogme théorique sérieux qu’il ait énoncé : aussi dans son exposition de cette doctrine partait-il de la géométrie. C’est dans le même sens qu’il faut entendre ces paroles du scholiaste d’Aristote (pp. 12,15), suivant lesquelles Platon considérait la géométrie comme un exercice préparatoire, habituant les élèves à s’occuper d’objets immatériels, alors que dans la vie pratique ils n’avaient eu affaire jusque-là qu’à des choses corporelles. Voilà donc comment Platon entendait recommander la géométrie aux philosophes : on n’est pas autorisé à donner à cette recommandation une importance plus considérable. Je conseillerai même à ceux qui veulent se renseigner au sujet de l’influence des mathématiques sur nos facultés intellectuelles et de leur utilité pour la culture scientifique générale, de lire une dissertation très approfondie et très érudite parue sous la forme d’un compte rendu d’un livre de Whewell, dans la Edinburgh Review de janvier 1836 : l’orateur, W. Hamilton, professeur de logique et de métaphysique en Écosse, l’a publiée plus tard sous son nom avec quelques autres dissertations. Cette étude a d’ailleurs trouvé un traducteur allemand et a été éditée à part sous le titre : Über den Wert und