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de l’association des idées

cause occasionnelle dans le souvenir : une personne qui vient de lire dans un recueil d’anas cinquante anecdotes, referme le livre ; quelquefois il lui est impossible, même immédiatement après sa lecture, de s’en rappeler une seule ; qu’une cause occasionnelle se présente, ou qu’il lui vienne une idée ayant quelque rapport avec l’une des anecdotes, aussitôt la mémoire de celle-ci lui revient, et à l’occasion de celle-ci les quarante-neuf autres. Et cela est vrai de tout autre genre de lecture. Au fond notre mémoire immédiate des mots, celle qui n’est pas produite par des artifices mnémotechniques, et par conséquent notre faculté de paroles tout entière, reposent immédiatement sur l’association des idées. Car apprendre une langue, c’est lier si intimement un mot à un concept, que le concept entraîne toujours le mot et le mot le concept. Ce même procédé apparaît manifestement dans le détail, chaque fois que nous apprenons un nom propre nouveau. Seulement quelquefois nous n’osons pas lier l’idée d’une personne, d’une ville, d’un fleuve, d’une montagne, d’une plante, d’un animal au nom qui les représente, avec une force telle qu’il les rappelle de lui-même : en ce cas nous recourons à un artifice de mnémotechnie et lions l’image de la personne ou de la chose à quelque qualité intuitive dont le nom est contenu dans le leur. Mais ce n’est là qu’un échafaudage provisoire, servant à étayer nos pensées : nous le laissons tomber plus tard, quand l’association des idées devient immédiate.

Cette recherche d’un fil conducteur du souvenir prend un caractère particulièrement accentué, quand c’est un rêve que nous avons oublié à notre réveil, et que nous cherchons vainement ce qui quelques minutes auparavant nous était si présent et si clair, et maintenant a complètement disparu : alors nous sommes à l’affût de quelque impression qui soit demeurée, fil conducteur capable de ramener le rêve entier dans la conscience. D’après Kiefer (Tellurismus, t. II, § 271), un signe sensible trouvé au réveil permet de se souvenir même du sommeil correspondant au somnambulisme magnétique. C’est cette même impossibilité pour toute pensée d’entrer dans la conscience sans y être amenée qui fait, que quand nous nous proposons d’accomplir un acte à un moment déterminé, nous devons ou bien y penser sans cesse, ou bien compter sur une cause occasionnelle quelconque, survenant au moment voulu pour éveiller notre attention, ou sur une impression sensible en rapport avec notre intention, ou sur une idée, amenée également elle-même par voie d’association. Ces deux sortes de causes occasionnelles rentrent dans la catégorie des motifs. — Chaque matin, au réveil, la conscience est une table rase, mais qui a vite fait de se remplir. C’est avant tout le cadre où nous nous trouvions la veille qui nous rappelle ce que nous avons pensé dans ce cadre ; les évé-