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l’usage pratique de la raison et le stoïcisme

recourir à la saine raison ; grâce à elle nous ne considérons plus ces biens comme nôtres ; nous nous persuadons que nous n’en avons que l’usage pour un temps déterminé, ce qui est le vrai moyen de ne pas les perdre. Aussi Sénèque dit-il « Si quid humananarum rerum varietas possit, cogitaverit, antequam senserit » (Epist. 68). Et Diogène Laërce (VII, I, 87) Ισον δε εστι το κατ’αρετην ζην τω κατ’εμπειριαν των φυσει συμϐαινοντων. « Secundum virtutem vivere idem est, quod secundum experientiam eorum, quæ secundum naturam accidunt, vivere. On peut rapprocher de cette citation un passage d’Arrien (Comment. Epict. Livre III, ch. XXIV, 84-89), — et spécialement, — comme preuve à l’appui de ce que j’ai avancé là-dessus dans mon premier volume, — cet autre passage : Τουτο γαρ εστι το αιτιον τοις ανθρωποις παντων των κακων, το τας προληψεις τας κοινας μη δυνασθαι εφαρμοζειν ταις επι μερους (Ibid. IV, 1,42) ( « Hæc enim causa est hominibus, omnium malorum, quod anticipationes generalis rebus singularibus accommodare non possunt. » ) Même pensée dans ce passage de Marc-Aurèle (IV, 29) : Ει ξενος κοσμου ο μη γνωριζων τα εν αυτω οντα, ουχ ηττον ξενος και ο μη γνωριζων τα γιγνομενα (Si l’on est étranger dans le monde, quand on ne connaît pas ce qui s’y trouve, on ne l’est pas moins quand on ne sait pas ce qui y arrive.) « Le onzième chapitre du De Tranquillitate animi de Sénèque est encore une excellente confirmation de cette manière de voir. En résumé la pensée du Stoïcisme, c’est que, pour peu qu’il perce à jour cette jonglerie qu’on appelle le bonheur, et qu’ensuite il prenne pour guide sa raison, l’homme, en ce jeu de hasard, apprendra que les coups heureux sont inconstants, et que l’argent qu’on y gagne est dépourvu de valeur ; et de la sorte il y demeurera indifférent. D’une façon générale le point de vue stoïcien peut s’exprimer ainsi : Nos souffrances viennent toujours d’un désaccord entre nos désirs et les lois du monde. Aussi faut-il changer l’un de ses termes, pour le mettre en harmonie avec l’autre. Comme le train de l’univers n’est pas en notre pouvoir (ουκ εφ’ημιν), il faut que nous y conformions notre volonté et nos désirs car la volonté seule est nôtre (εφ’ημιν). Cette accommodation de la volonté au train du monde, c’est-à-dire à la nature des choses, est souvent comprise dans l’aphorisme d’un sens élastique, κατα φυσιν ζην. Que l’on consulte plutôt Arrien (Dépert. II, 19,21,22). Sénèque met ce point de vue plus en évidence (Epist. 119), lorsqu’il dit « Nihil interest utrum non desideres, an habeas. Summa rei in utroque est eadem : non torqueberis. » De même Cicéron (Tuscul. IV, 26) « Solum habere velle, summa dementia est. » Voir encore Arrien (IV, 1,175) ου γαρ εκπληρωσει των επιθυμουμενων ελεθερια παρασκευαζεται, αλλα ανασκευη της επιθυμιας. « Non enim explendis desideriis libertas comparatur, sed tollenda cupiditate. »