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doctrine de la représentation abstraite

donner une tirée du dedans : car, s’il était capable d’une telle confirmation, il n’aurait pas besoin d’en chercher une extérieure. Il est toujours hasardeux de vouloir donner un fondement nouveau à un bâtiment solide. D’ailleurs, est-ce qu’une religion a besoin des suffrages de la philosophie ? Elle a tout pour elle : révélation, écritures, miracles, prophéties, appui des gouvernements, le premier rang partout comme il convient à la vérité, l’adhésion et le respect de tout le monde, des milliers de temples où elle est prêchée et où l’on célèbre ses cérémonies, des corps sacerdotaux assermentés, et, ce qui vaut mieux que tout cela, le privilège inappréciable de pouvoir inculquer ses doctrines aux enfants dès l’âge le plus tendre, et d’en faire pour ainsi dire, dans leurs cerveaux, des idées innées. Quand on est ainsi armé, on n’a pas besoin de l’adhésion des pauvres philosophes, ou bien l’on est plus exigeant que de raison, ou enfin si l’on craint d’être contredit par eux, on montre une terreur incompatible avec une conscience calme et honnête.

Un symptôme de cette nature allégorique des religions, ce sont les mystères qu’on rencontre dans presque toutes, j’entends certains dogmes qui, loin de pouvoir prétendre à être pris à la lettre pour des vérités, ne sauraient même être nettement saisis par la pensée. Peut-être même pourrait-on dire que quelques affirmations directement contraires à la raison, que quelques absurdités bien palpables sont un ingrédient essentiel d’une religion bien faite : car elles sont la marque même de sa nature allégorique et le seul moyen de faire sentir au sens commun, à l’entendement inculte ce qui ne saurait être clairement conçu par lui, à savoir qu’au fond la religion traite d’un ordre, de choses sui generis, de l’ordre des choses en soi, lequel n’est pas soumis aux lois du monde des phénomènes ; qu’en conséquence, la religion présentant toujours les faits et les vérités dont elle parle sous une forme phénoménale, non seulement les dogmes absurdes, mais encore les dogmes concevables ne sont que des allégories, de simples adaptations à l’intelligence humaine. C’est dans cet esprit que saint Augustin et Luther même me paraissent avoir maintenu les mystères du christianisme, en opposition à la doctrine terre-à-terre de Pélage qui prétendait tout ramener au niveau de l’intelligibilité. En se plaçant à ce point de vue, on conçoit également que Tertullien ait pu dire en toute sincérité : Prorsus credibile est, quia ineptum est,… certum est, quia impossibile (de carne Christi, c. 5). Cette nature allégorique des religions les dispense également des démonstrations que la philosophie est obligée de fournir, et de la nécessité de l’examen ; elles les remplacent par la foi, c’est-à-dire qu’elles exigent une croyance volontaire à leur vérité. Et comme la foi dirige l’action, et qu’au point de vue