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le besoin métaphysique de l’humanité

sont aussi mystérieuses que la vie dans l’être vivant : aussi partout l’explication physique vient-elle se heurter à une explication métaphysique qui la supprime, c’est-à-dire lui enlève son caractère d’explication. À prendre les choses rigoureusement, on pourrait prétendre que toutes les sciences de la nature ne font réellement comme la botanique que rassembler et classer les objets de même espèce. Une physique qui soutiendrait que ses explications des choses, dans le détail par des causes, et d’une manière générale par des forces, sont véritablement suffisantes et par conséquent épuisent l’essence du monde, serait le naturalisme proprement dit. De Leucippe, Démocrite et Épicure jusqu’au « système de la nature », puis à Lamarck, Cabanis et au matérialisme réchauffé de ces dernières années, nous pouvons suivre l’essai toujours continué d’établir une physique sans métaphysique, c’est-à-dire une doctrine qui fasse du phénomène la chose en soi. Mais toutes les explications de ces physiciens ne sont que des essais pour dissimuler et aux explicateurs et aux auditeurs qu’elles supposent tout uniment la chose essentielle. Les naturalistes s’efforcent de montrer que tous les phénomènes, même les phénomènes spirituels, sont physiques, et en cela ils ont raison ; leur tort, c’est de ne pas voir que toute chose physique est également par un autre côté une chose métaphysique. Sans doute il est difficile de reconnaître cette vérité, puisqu’elle suppose la distinction du phénomène et de la chose en soi. Cependant Aristote, malgré sa tendance à l’empirisme, et si éloigné qu’il fut de l’hyperphysique platonicienne, a su, même sans le secours de la distinction dont nous parlons, demeurer en dehors de cette manière de voir étroite il dit : Εἶ μὲν οὖν μή ἒστι τις ἑτέρα οὐσία παρὰ τὰς φύσει συνεστηϰῦιας, ἡ φυσιϰὴ ἄν εἴη πρώτη ἐπιστήμη. εἴ δὲ ἔστι τις οὐσία ἀϰινήτος, αὕτη προτέρα ϰαὶ φιλοσοφία πρώτη, ϰαὶ ϰαθόλον οὕτως, ὄτι πρώτη. ϰαὶ περὶ του ὄντος ᾗ ὂν, ταυτης ἄν εἴν θεωρῆσαι. « Si igitur non est aliqua alia substantia, præter eas, quæ natura consistunt, physica profecto prima scientia esset : quodsi autem est aliqua substantia immobilis, hæc prior et philosophia prima, et universalis sic, quod prima ; et de ente prout ens est, speculari hujus est. (Métaph., V, I.) Une physique absolue, telle que nous venons de la décrire, qui ne laisserait place à aucune métaphysique, ferait de la Natura naturata la Natura naturans : elle serait la physique mise sur le trône de la métaphysique ; mais il est probable qu’à cette place élevée elle se comporterait comme le rétameur de Holberg une fois nommé bourgmestre. C’est cette idée obscure d’une physique absolue sans métaphysique, qui inspire au fond le reproche insipide et le plus souvent malveillant d’athéisme ; c’est elle qui lui donne son sens intime, de la vérité et par là de la force. Une telle physique serait certainement destructive de toute éthique, et si l’on a eu