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le monde comme volonté et comme représentation

pas les déduire des propriétés de l’espace et du temps. En réalité il n’y a qu’une seule détermination de cette sorte dont on puisse constater l’existence : celle de la causalité. C’est sur elle que repose la matérialité, puisque l’essence de la matière consiste dans l’action et que la matière est purement et simplement causalité[1]. Or la matérialité est le seul caractère qui distingue l’objet réel de l’hallucination, laquelle n’est que représentation. En effet, la matière, en tant que persistante, donne à l’objet la persistance dans le temps, du moins la persistance matérielle, alors même que les formes changent conformément à la loi de causalité. Dans l’objet tout le reste n’est que détermination de l’espace et du temps ; quant aux propriétés empiriques, elles se ramènent toutes au genre d’activité de l’objet, autrement dit elles sont des déterminations causales. La causalité entre déjà à titre de condition dans l’intuition empirique ; grâce à elle, l’intuition est du ressort de l’entendement, c’est l’entendement qui rend possible l’intuition ; mais, à part la loi de causalité, l’entendement ne contribue en rien à l’expérience, ni à la possibilité de l’expérience. Sauf ce que nous indiquons ici, le contenu des vieilles ontologies se borne aux rapports des choses entre elles ou avec notre réflexion.

La manière dont Kant expose sa théorie des catégories suffit déjà à prouver que cette théorie est dénuée de fondement. Quelle différence, à ce point de vue, entre l’Esthétique transcendantale et l’Analytique transcendantale ! Dans la première, quelle clarté, quelle précision, quelle sûreté, quelle solide conviction franchement exprimée, infailliblement communiquée ! Tout y est lumineux, et Kant n’y a pas laissé de recoins obscurs : il sait ce qu’il veut, et il sait qu’il a raison. Dans la seconde, au contraire, tout est obscur, confus, vague, flottant, incertain ; l’exposition est timide, pleine de restrictions et de renvois à ce qui suit, ou même à des restrictions précédentes. Du reste, toute la seconde et toute la troisième section de la déduction des concepts purs de l’entendement ont été complètement changées dans la seconde édition ; car Kant lui-même les trouvait insuffisantes, et il leur a substitué quelque chose de tout différent, mais qui n’est en aucune façon plus clair. On voit Kant en lutte véritable avec la vérité, à seule fin de faire passer l’opinion à laquelle il s’était arrêté. Dans l’Esthétique transcendantale, toutes ses propositions sont démontrées effectivement par des faits de conscience indéniables ; au contraire, dans l’Analytique transcendantale, nous ne trouvons, si nous y regardons de près, que des pures affirmations : « cela est ainsi, cela ne peut être autrement ; » et rien de plus. Ici, en un mot, comme partout, l’exposition porte la marque de la pensée qui l’inspire : car le style est la physionomie de l’esprit. — En-

  1. Voir chap. IV des Suppléments.