Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
critique de la philosophie kantienne

est la connaissance de la loi de causalité, rapporte cette impression à la cause, et cette cause se trouve par le fait située, à titre d’objet de l’expérience, dans l’espace et dans le temps qui sont les formes de l’intuition pure ; elle devient un objet matériel, subsistant dans l’espace pendant toute la durée du temps ; mais précisément à ce titre, elle demeure toujours simple représentation, comme l’espace et le temps eux-mêmes. Si nous voulons aller au-delà de la représentation, nous voyons se poser la question de la chose en soi, question à laquelle mon livre, comme toute métaphysique en général, a pour but de répondre. À l’erreur de Kant que nous signalons ici se rattache le défaut suivant, relevé plus haut : il ne fait point la théorie de la genèse de l’intuition empirique ; il nous dit qu’elle est donnée, sans ajouter d’autre explication, et il l’identifie ainsi avec la simple impression sensible ; d’ailleurs il n’attribue à l’intuition sensible que les formes de l’intuition, le temps et l’espace, qu’il comprend tous deux sous la rubrique de sensibilité. Mais ces matériaux ne suffisent pas à constituer une représentation objective : car la représentation objective exige absolument que l’impression soit rapportée à la cause, autrement dit elle suppose la loi de causalité, l’entendement ; en effet, sans cette condition, l’impression demeure toujours simplement subjective et elle ne projette point l’objet dans l’espace, même si cette forme d’espace lui est concomitante. Mais chez Kant l’entendement ne devait point être employé pour l’intuition : il devait simplement penser, afin de rester dans le ressort de la Logique transcendantale. À ce défaut se rattache encore un autre défaut de Kant : sans doute il a reconnu avec raison que la loi de causalité était une loi a priori ; mais il n’y avait qu’une preuve valable pour le démontrer, savoir la preuve tirée de la possibilité de l’intuition empirique objective elle-même ; or il m’a laissé l’honneur d’inaugurer cette démonstration, et, au lieu de la donner lui-même, il en apporte une qui est ouvertement fausse, ainsi que je l’ai déjà démontré[1].

De ce qui précède il ressort clairement que Kant a composé son objet de la représentation avec ce qu’il a enlevé partie à la représentation, partie à la chose en soi. Pour Kant, l’expérience ne pouvait avoir lieu sans l’intervention des douze fonctions différentes de notre entendement, et il fallait également douze concepts a priori pour penser les objets qui n’avaient été d’abord qu’intuitivement perçus ; à ce compte, chaque chose réelle devait avoir comme telle une foule de déterminations ; de ces déterminations, pas plus que de l’espace et du temps, la pensée ne peut en aucune manière faire abstraction, attendu qu’elles sont données a priori ; elles appartiennent à titre essentiel à l’essence des choses, et pourtant on ne peut

  1. Cf. mon traité sur la Quadruple racine du principe de raison suffisante, § 23.