Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
97
vue objective de l’intellect

se font attendre pendant des siècles ; l’humanité toutefois peut se contenter même de ces rares apparitions, car les œuvres de ces génies restent et ne sont pas limitées au présent comme les actes des autres.

Toujours fidèle à cette loi d’économie dont nous avons parlé, la nature n’accorde la supériorité intellectuelle qu’à un très petit nombre, et ne fait don du génie que comme de la plus rare des distinctions.

À la grande masse de l’humanité elle ne donne que les facultés intellectuelles nécessaires à la conservation de l’individu et de l’espèce. Car, le nombre des besoins humains étant très considérable et ces besoins s’augmentant sans cesse à mesure même qu’ils sont satisfaits, la plus grande partie de l’humanité est nécessairement condamnée à passer sa vie à des travaux grossièrement corporels et entièrement mécaniques : pourquoi ces gens-là auraient-ils un esprit vif, une imagination enflammée, un entendement subtil, une pénétration profonde ? Ces qualités ne pourraient que les rendre impropres à leur fonction et par suite malheureux. Aussi la nature a-t-elle le moins prodigué la plus précieuse de toutes ses œuvres. En se plaçant à ce point de vue, on devrait, afin de porter des jugements équitables, se demander une fois pour toutes ce qu’on peut attendre des facultés intellectuelles des hommes en général ; ainsi, en ce qui concerne les savants, comme ils ne sont généralement devenus tels que grâce à des circonstances extérieures, on devrait les considérer comme des personnes que la nature avait vouées en réalité à l’agriculture ; il faudrait appliquer cette mesure à l’estimation même des professeurs de philosophie, on trouverait en bien des cas que leurs œuvres répondent parfaitement à ce qu’on en pouvait équitablement attendre.

Il est à remarquer que dans le Midi, où les nécessités vitales pèsent moins lourdement sur les hommes et leur laissent plus de loisirs, les facultés intellectuelles de la foule même en deviennent plus actives et plus délicates. — Voici, au point de vue physiologique, un spectacle non moins étonnant : la prépondérance de la masse cérébrale sur celle de la moelle et des nerfs, prépondérance qui, d’après la découverte profonde de Sömmering, est la véritable mesure du degré d’intelligence, tant dans les espèces animales que chez les individus humains, cette prépondérance accroît en même temps la mobilité immédiate, l’agilité des membres. C’est que, grâce à cette extension singulière du cerveau, les nerfs moteurs n’en deviennent que plus dépendants ; de plus, cette perfection qualitative du grand cerveau, le cervelet, directeur immédiat des mouvements, y participe, et ainsi, grâce à cette perfection des deux organes, tous les mouvements volontaires