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le monde comme volonté et comme représentation

bras qui la contient ? Il est bien plus naturel de croire à l’identité de la force qui animait alors une vie maintenant éteinte, et de celle qui préside à une existence aujourd’hui florissante ; on ne peut le contester. Mais, nous le savons, il n’y a de périssable, comme je l’ai montré au deuxième livre, que ce qui est compris dans la chaîne causale, ce qui est donc état ou forme. Ce qui reste au contraire à l’abri du changement provoqué par les causes, c’est d’une part la matière, de l’autre l’ensemble des forces naturelles, éléments qui tous deux sont la condition préalable de tous les changements en question. Or, pour le principe qui nous anime, il faut commencer par y voir tout au moins une force naturelle, jusqu’à ce que des recherches plus approfondies nous permettent d’en reconnaître la nature intime et véritable. Ainsi, déjà même en tant que force naturelle, l’énergie vitale reste entière à l’abri de l’évolution des états et des formes apportés et emportés dans la série continue des effets et des causes, et seuls sujets, comme l’atteste l’expérience, à la naissance et à la mort. À ce seul titre déjà on pourrait donner une preuve certaine de l’éternité de notre être propre. C’est là sans doute bien mal satisfaire les prétentions qu’on a coutume d’émettre en fait de preuves de la durée de notre existence après la mort, et de là ne sort pas la consolation qu’on en attend. Cependant c’est toujours quelque chose, et l’homme qui dans la mort redoute un anéantissement absolu ne peut dédaigner la pleine certitude que le principe intime de sa vie n’a rien à en craindre. — Il y a plus, et c’est un paradoxe qui se pourrait soutenir, ce second élément, invariable, comme l’ensemble des forces naturelles, au milieu du changement d’états qui se poursuit le long de la chaîne de la causalité, la matière en un mot, nous assure à son tour par sa persistance absolue une indestructibilité susceptible déjà de faire espérer une certaine éternité à l’homme incapable d’en concevoir une autre. « Eh quoi ! dira-t-on, la persistance d’une simple poussière, de la matière brute, voilà ce qu’il nous faudrait regarder comme la continuité promise à notre être ! » — Tout doux ! Connaissez-vous donc cette poussière ? En savez-vous et la nature et le pouvoir ? Apprenez à la connaître, avant de la mépriser. Cette matière, en ce moment cendre et poussière répandue sur le sol, ne tardera pas, une fois dissoute dans l’eau, à devenir cristal ; elle brillera comme métal, puis elle projettera des étincelles électriques, et sa tension galvanique lui permettra de fournir une force assez puissante pour décomposer les combinaisons les plus résistantes, pour réduire les terres en métaux ; elle se métamorphosera d’elle-même en plante et en animal, et de son sein mystérieux se développera cette vie dont la perte trouble de tant d’inquiétudes ta nature bornée. N’est-ce donc rien que persévérer dans l’être sous la forme d’une telle