Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/328

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ner, pour l’emprisonner, pour le borner tout au moins, et, là où il est possible, pour l’étouffer tout à fait, ou le maîtriser en tout cas de façon à ne le laisser paraître au jour que comme une affaire secondaire et toute subalterne. — Tous ces faits s’accordent avec l’idée que l’instinct sexuel est la substance de la volonté de vivre, qu’il en représente ainsi la concentration ; aussi avais-je justement appelé dans mon texte les parties génitales le foyer de la volonté. Oui, on peut le dire, l’homme est un instinct sexuel qui a pris corps ; sa naissance est un acte de copulation, le désir de ses désirs est un acte de copulation, et seul cet instinct rattache et perpétue l’ensemble de ses phénomènes. Sans doute la volonté de vivre se manifeste d’abord en tant qu’effort pour la conservation de l’individu ; mais ce n’est là pourtant qu’un échelon vers l’effort pour la conservation de l’espèce, effort d’autant plus violent que la vie de l’espèce surpasse celle de l’individu en durée, en étendue et en valeur. Par là l’instinct sexuel est la manifestation la plus parfaite de la volonté de vivre ; il en est le type le plus nettement exprimé, et cette idée concorde avec celle qu’il est le germe des individus, comme le plus puissant de tous les souhaits de l’homme naturel.

Il y a place encore ici pour une observation physiologique bien faite pour jeter quelque lumière sur la théorie fondamentale exposée par moi au second livre. L’instinct sexuel, nous venons de le voir, est la plus violente des passions, l’appétit des appétits, la concentration de tout notre vouloir, et, par suite, toute satisfaction de cet instinct qui répond exactement au désir de l’individu, c’est-à-dire aussi au désir dirigé vers un individu déterminé, est comme le comble et le faîte de son bonheur, le but dernier de ses efforts naturels : en y atteignant il croit avoir tout atteint, en le manquant il croit avoir tout manqué. De même, en corrélation physiologique avec ce qui précède, nous trouvons dans la volonté objective, c’est-à-dire dans l’organisme humain, le sperme comme la sécrétion des sécrétions, la quintessence de tous les sucs, le produit dernier de toutes les fonctions organiques, et nous avons là une nouvelle preuve de ce que le corps n’est autre chose que l’objectivation de la volonté, c’est-à-dire la volonté même sous la forme de la représentation.

À la procréation se rattache la conservation de la progéniture, et à l’instinct sexuel l’amour paternel, éléments qui perpétuent la vie de l’espèce. En conséquence, l’affection de l’animal pour sa progéniture a, comme l’instinct sexuel, une puissance de beaucoup supérieure à celle des efforts tournés vers la simple conservation de l’individu lui-même. La preuve en est que les animaux même les plus paisibles sont tout prêts à affronter pour leur progéniture, au péril de leur vie, le combat même le plus inégal, et que, chez presque toutes les espèces animales, la femelle, pour protéger ses