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Page:Schopenhauer - Philosophie et philosophes (éd. Alcan), 1907.djvu/70

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a de nombreux points de contact avec la vie humaine, la vie publique aussi bien que celle de l’individu. Ainsi, quand on en fait métier, le dessein prémédité en arrive bien vite à prendre le pas sur la recherche désintéressée, et les prétendus philosophes deviennent de simples parasites de la philosophie. Ils font obstacle à l’action des vrais philosophes, prennent à leur égard une attitude hostile, et se conjurent même contre eux, pour ne se préoccuper que de l’avancement de leurs propres affaires. Dès qu’en effet il s’agit du gain, il peut facilement arriver, lorsque l’intérêt l’exige, qu’on recoure à toutes sortes de moyens bas, d’ententes secrètes, de coalitions, etc., pour favoriser le faux et le mauvais, en vue d’intérêts matériels ; et, alors, il devient nécessaire de supprimer le vrai et le bon qui leur font opposition. Mais nul n’est moins propre à un pareil rôle qu’un philosophe véritable, qui serait venu à tomber au milieu des industriels en question.

Cela nuit peu aux beaux-arts, même à la poésie, qu’ils soient aussi une source de profit ; chacune de leurs œuvres a son existence à part, le mauvais n’y est pas en état d’obscurcir le bon. La philosophie, au contraire, est un tout, c’est-à-dire une unité, et a pour but la vérité, non la beauté. Il y a des beautés de plusieurs sortes, mais il n’y a qu’une vérité ; comme il y a plusieurs Muses, mais seulement une Minerve. Le poète peut très bien, pour cette raison, dédaigner de flageller le mauvais ; mais le philosophe peut y être parfois contraint. Le mauvais, mis en honneur, prend en effet une attitude nettement hostile à l’égard du bon, et la mauvaise herbe qui pullule écarte la plante utile. La philosophie, de par sa nature, est exclusive ; elle fonde la manière de penser de l’époque ; et voilà pourquoi le système régnant en souffre, comme